Adhésion de MADAGASCAR à l'OHADA, pourquoi pas ?
Les débats ne sont pas nouveaux, loin de là. Peut-être sont-ils plus âgés que l'OHADA elle-même... À une étape de l'histoire, Madagascar a failli être parmi les membres fondateurs de cette organisation. En tout cas, Madagascar n'en a jamais été très loin... Tellement proche que les réformes législatives en Droit des affaires en début des années 2000 ont inscrit quelques extraits des Actes uniformes de l'OHADA, ces actes qui instaurent les règles communes applicables au sein de ses États membres, dans la législation malgache actuellement en vigueur.
Les débats ne sont pas nouveaux, certes, mais le contexte l'est. Et forcément, les conclusions s'ajustent. Hier, elles étaient dans le questionnement du « pourquoi » ? « Pourquoi intégrer l'OHADA et s'astreindre à l'ensemble des actes uniformes si le législateur pouvait simplement copier quelques dispositions estimées séduisantes » ?
Aujourd'hui, le contexte appelle une reconsidération des positions réfractaires. « Pourquoi pas ? ». En effet, les relations d'affaires ont évolué, l'OHADA a évolué, et surtout, Madagascar a évolué.
Des relations d'affaires transnationales
Tout d'abord, là où certains ont élevé une méfiance contre l'OHADA, en l'associant à certains passifs historiques (à tort ou à raison, il s'agit d'un autre sujet), il est important de rappeler que la géographie, plus que l'histoire, tisse des liens dont l'irréversibilité nous oblige. Fait constant et immuable, la proximité géographique doit être apprivoisée et exploitée, notamment dans les relations d'affaires. D'ailleurs, les investisseurs et les opérateurs économiques l'ont bien compris : les relations commerciales ont enjambé les frontières nationales. Le Droit, instrument de régulation des phénomènes sociaux préalablement observés, doit leur emboiter les pas pour pouvoir continuer de les régenter. Ces relations, désormais affranchies des frontières nationales, requièrent un Droit répondant aux mêmes critères, un Droit affranchi des variations identitaires. En effet, pour le Droit des affaires, plus que tout autre Droit, la vocation expansionniste des activités d'entreprise à régir rend les revendications identitaires nationales anachroniques.
Ces affirmations identitaires se trouvent légitimes et même cardinales pour la préservation de la culture dans les disciplines comme le Droit de la famille ou le Droit répressif, mais elles ne se conjuguent pas avec l'objectif du Droit des affaires qui est de fluidifier les activités d'entreprises et d'en être un outil d'impulsion. Le raisonnement est simple : un droit transfrontalier pour une matière transfrontalière. Dans ce sens, les Actes Uniformes de l'OHADA constituent des outils formidables, en ce qu'ils permettent de régir les interactions de la même manière d'un pays à un autre, supprimant ainsi les imprévisibilités territoriales.
Une OHADA inclusive
L'OHADA a évolué. En 30 ans d'existence, son efficacité est avérée, n'ayant enregistré aucun retrait d'un État membre, et bien au contraire, accueillant trois nouveaux États. Elle est l'organisation continentale réunissant le plus grand nombre de pays, après l'Union Africaine.
Ces États membres l'ont doté d'une grande capacité d'inclusion. Dans ce sens, la révision du traité fondateur a inscrit l'anglais, l'espagnol et le portugais comme les langues de travail qui s'ajoutent au français prévu par la version initiale du Traité. L'inclusion est également vérifiable avec la démocratisation du processus normatif réalisée par la création, dans les États membres, des Commissions Nationales OHADA. Ces Commissions, étant constituées d'experts nationaux, garantissent le pragmatisme et l'adéquation avec les réalités et les contraintes nationales des avant-projets d'Actes Uniformes. Elles s'assurent, entre autres, de la pertinence des substances des avant-projets d'actes uniformes pour leurs États et surtout de sa concordance avec les engagements, notamment internationaux, déjà pris par leurs États respectifs.
De plus, sur le plan judiciaire, l'OHADA enregistre une avancée dans la facilitation de l'accès à la justice et aux décisions judiciaires. Dorénavant, avec l'organisation des audiences foraines, la Cour se déplace dans les autres pays membres et y tient ses audiences. À cette accessibilité physique de la Cour s'ajoute une accessibilité en ligne de ces décisions. Cette mise en ligne des décisions de la CCJA permet aux juges nationaux, interprètes des Actes Uniformes parce qu'ils tranchent en première instance et en instance d'appel les contentieux des affaires, de s'informer sur les positions interprétatives de la Cour. Grâce à cette accessibilité, ils appliquent le Droit des affaires OHADA en étant avisé des interprétations données par la Cour de Cassation Commune. De cette manière, le système OHADA garantit une égale application de son Droit à l'intérieur de son espace, indépendamment de l'État considéré. Cette accessibilité des décisions judiciaires concourt à la prévisibilité de l'interprétation des textes de lois, prévisibilité qui fait souvent défaut au niveau national et y entretient une insécurité judiciaire.
Par ailleurs, l'existence de l'École Régionale de la Magistrature de l'OHADA (ERSUMA) renforce ces mécanismes d'harmonisation en amont des décisions judiciaires. En effet, à travers les sessions de formation et perfectionnement dispensées par l'ERSUMA, l'Organisation dispense aux professionnels du Droit (magistrats, avocats, juristes du secteur privés, notaires, huissiers, ...) et des chiffres (les experts comptables et les comptables) des sessions de formations et de perfectionnement sur le Droit harmonisé. Ces sessions permettent de prévenir les divergences d'application.
Un Madagascar plus ambitieux
Madagascar a aussi grandement évolué. Les visions et les dynamiques nationales progressent. Madagascar met dorénavant un point d'honneur, et à juste titre eu égard à ses potentiels, à se positionner sur la scène africaine. Comme tout pays, il a constaté l'échec de l'utopie mondialiste et se tourne un peu plus vers ses voisins de l'Afrique continentale. Il travaille son attractivité pour attirer les investisseurs, notamment avec la création et l'opérationnalisation de l'Économic Development Board of Madagascar (EDBM). Agence de promotion des investissements, l'EDBM a pour mission d'œuvrer pour l'attractivité et la compétitivité de Madagascar en matière d'investissement. Il accompagne les investisseurs dans leurs démarches d'implantation et d'expansion à Madagascar.
Parallèlement, plusieurs actions concertées sont également engagées pour l'amélioration du climat des affaires. Deux méritent d'être brièvement mentionnées pour leur lien avec l'OHADA. La première est la dynamique de réflexion universitaire engagée depuis 2022. Si la pertinence de l'adhésion de Madagascar à l'OHADA a toujours été discutée entre les praticiens du Droit (relevant du secteur judiciaire et du secteur privé) et entre les investisseurs, le cercle des acteurs aux débats s'est étendu aux universitaires. Avec deux ouvrages collectifs issus d'un projet porté par l'ONG ACP Legal Océan Indien, qui a pour mission de contribuer à l'amélioration du climat des affaires dans la zone Océan indien, les juristes universitaires malgaches se sont exprimés sur le sujet. Ils ont engagé une réflexion comparative du Droit des affaires malgache avec le Droit des affaires OHADA. Désormais, l'on est en mesure d'affirmer que ces deux Droits consacrent les mêmes principes juridiques et recourent aux raisonnements juridiques identiques, sinon similaires, pour règlementer les relations d'affaires. Ces travaux universitaires aboutissent à une conclusion claire : le Droit malgache des affaires et le Droit OHADA des affaires se rapprochent plus qu'ils ne s'écartent l'un de l'autre. Bien entendu, comme toute intégration dans une telle structure, l'adhésion emportera l'abandon de quelques mécanismes juridiques actuellement en vigueur, notamment la distinction dualiste des régimes de l'arbitrage (national et international). Mais les conclusions de ces réflexions universitaires corroborent le fait que l'adhésion de Madagascar àl'OHADA n'entraînerait certainement pas un basculement normatif déroutant.
La deuxième dynamique est celle des groupements d'entreprises qui se sont fédérés pour mettre en place le « Consortium Malagasy pour l'OHADA ». Il s'agit d'une entente entre le Groupement des Entreprises de Madagascar (GEM), le Fivondronan'ny Mpandraharaha Malagasy (FIVMPAMA) et le Syndicat des Industries de Madagascar (SIM), les trois principaux groupements du secteur privés à Madagascar. Ils unissent leurs voix pour plaider, de manière unanime, en faveur de l'adhésion de la Grande Île à l'OHADA. Leurs principaux arguments incluent, entre autres, la pertinence de l'Organisation pour répondre aux défis d'attractivité à travers la sécurité juridique qu'elle offre. En effet, l'OHADA a mis en place plusieurs dispositifs destinés à la démocratisation du processus de création des normes (à travers le déploiement des Commissions Nationales OHADA), à la stabilisation législative (garantie par les mécanismes de révisions ou d'adoption des Actes Uniformes), et à la prévisibilité des décisions judiciaires (à travers les garanties de la cohérence des décisions judiciaires, nationales et supranationale). Ces dispositifs contribuent à maintenir une sécurité juridique qu'aucun État, individuellement, ne peut fournir compte tenu de la nature expansionniste et de la vocation transnationale des relations d'affaires.
Ces trois évolutions (des relations d'affaires, de l'OHADA et du contexte malgache) amènent à repenser la position malgache par rapport à l'OHADA. Les relations d'affaires dépassent les frontières nationales, l'OHADA a prouvé son efficacité pour réaliser les missions qui lui sont attribuées, et les dynamiques nationales malgaches tendent, dès lors, vers l'adhésion à l'Organisation. D'un « pourquoi » d'il y a trente ou vingt ans, la question est devenue un « pourquoi pas ? ».
Rindra HARIZO
Point focal de l'OHADA à Madagascar
Source : www.diapason.mg