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Compte-rendu des rencontres professionnelles OHADA de Guinée organisées du 17 au 20 juillet 2023 à Conakry

Thème : « Textes, contexte et pratiques des Actes uniformes de l'OHADA »

Echanger entre professionnels de tous horizons sur la performance du système OHADA et évaluer l'application de son Droit dans la perspective de dégager des pistes d'amélioration : tel est l'objectif qui a mobilisé, pendant quatre jours, près de 150 spécialistes guinéens et étrangers, relevant de professions diverses. Membres du personnel judiciaire, auxiliaires de justice, juristes d'entreprise, professionnels du chiffre, enseignants-chercheurs, banquiers et consultants, tous acteurs de la mise en œuvre du Droit OHADA, ont ainsi pu croiser leurs vues sur diverses thématiques de la vie du droit uniforme des affaires.

A l'orée de ces rencontres professionnelles, M. Pierre LAMAH, Président de la Commission Nationale OHADA (CNO) de Guinée, a souhaité la bienvenue aux participants et remercié, pour leur soutien décisif, les différents partenaires qui ont concouru à l'organisation de l'événement. Il a exprimé une gratitude particulière à l'endroit du Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, du Ministre de l'Economie et des Finances, ainsi que de l'Association professionnelle des banques et établissements de crédit.

A sa suite, le Pr. Emmanuel Sibidi DARANKOUM, Secrétaire Permanent de l'OHADA, a remercié les autorités guinéennes pour leur soutien constant aux actions de l'Organisation. Il a relevé que l'ouverture de l'événement à des participants étrangers perpétue la tradition panafricaine du pays et souhaité plein succès aux travaux.

Dans son discours d'ouverture, S.E.M. Alphonse Charles WRIGHT, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, a indiqué que l'œuvre déjà accomplie par l'OHADA dans l'exercice de sa mission de sécurisation juridique des activités économiques est remarquable. Il a souligné qu'en organisant ce partage d'expériences entre professionnels du droit en vue de susciter les meilleures pratiques, la Guinée contribue déjà, à sa manière, à célébrer le trentième anniversaire de l'Organisation.

Les échanges engagés au terme de cette cérémonie protocolaire ont été éclairés par la leçon inaugurale du Pr. André AKAM AKAM. Interrogeant la qualité du droit uniforme à l'aune des critères de l'effectivité, de l'efficacité et de l'efficience, il a, en effet, esquissé une évaluation constructive tant de l'infrastructure institutionnelle que de la politique juridique de l'OHADA. Les communications détaillées et les débats subséquents ont conduit à l'exploration des questions les plus diverses permettant d'évaluer aussi bien les cadres et les procédures que le rôle des différents acteurs dans la mise en œuvre du droit OHADA.

Le constat qui s'en dégage est que l'OHADA est aujourd'hui pleine de vitalité. Rares sont les pans de la vie économique qui échappent à son emprise. De fait, les aspects essentiels de la création d'une entreprise individuelle ou sociétaire, publique ou privée, de son financement, de son fonctionnement, de la gestion de ses difficultés économiques et même non économiques sont couverts par le droit uniforme. Les entités à but non lucratif ne sont pas en reste, de sorte que l'OHADA se trouve au confluent des activités de très nombreux professionnels et citoyens de nos Etats membres. Son emprise réelle et, surtout, son impact potentiel sur l'organisation de la vie sociale est tel que certains n'hésitent pas à évoquer un risque de démesure.

Pour autant, l'édifice n'est pas parfait, loin s'en faut. Au-delà de la vulgarisation du droit uniforme et de la promotion du système, les Rencontres professionnelles OHADA de Guinée visaient précisément à mettre en exergue, à travers les échanges entre praticiens, les éventuelles difficultés d'application et autres points d'attention, en ayant en vue le double souci de partager les meilleures pratiques et susciter la réflexion sur les pistes d'amélioration.

De ce point de vue, on ne peut que constater que les fruits ont largement tenu les promesses des fleurs, tant les enseignements sont nombreux. Ils portent sur le cadre institutionnel de déploiement de l'OHADA, sur des questions de politique législative aussi bien que de technique juridique, sur la cohérence interne et externe des Actes uniformes, sur le rôle des différents acteurs pour une application effective et efficace des textes... Les mesures correctives identifiées ont donc trait à la fois aux acteurs et au système, à des degrés d'importance certes différents : bien que perfectible, le système OHADA reste globalement cohérent et n'appelle que des ajustements ; en revanche, outiller convenablement les acteurs de la mise en œuvre du droit OHADA apparaît comme un impératif catégorique pour garantir la prégnance sociale des normes de droit uniforme. Il y a donc avantage à explorer les pistes d'une adaptation du système OHADA (I), et urgence à mieux outiller les acteurs de l'application contentieuse et non contentieuse du droit OHADA (II).

I. Explorer les possibilités d'adaptation du système OHADA

Les institutions commises à la réalisation de la mission de sécurisation juridique des activités économiques sont-elles convenablement conçues et dimensionnées ? Le système de production normative est-il approprié ? Telles sont les questions qui ont constitué la trame de la réflexion sur de possibles ajustements du système OHADA. Si, globalement, le bilan du fonctionnement du système est incontestablement satisfaisant, des pistes d'amélioration existent, que l'on considère l'infrastructure institutionnelle (A) ou le système normatif (B) de l'OHADA.

A. Repenser le système institutionnel

Certaines institutions de construction de l'Etat de droit économique se situent dans l'ordre interne des Etats. Il en est spécialement ainsi des CNO, qui pourraient être réformées dans la perspective de mieux contribuer à la production et à la diffusion du droit uniforme des affaires.

A l'échelle supra-étatique, l'œuvre accomplie par l'ERSUMA en matière de formation pose la question de savoir s'il ne convient pas de dépasser la diffusion et l'appropriation des textes pour viser plus spécifiquement l'harmonisation des pratiques.

La Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (CCJA), pour sa part, suscite des interrogations quant à sa capacité à absorber un contentieux toujours croissant et à traiter, dans des délais raisonnables, les affaires qui lui sont soumises, alors surtout que chaque nouvel Acte uniforme augure d'une nouvelle et significative augmentation du volume du contentieux. C'est le droit d'accès au juge qui, ultimement, peut se trouver en cause.

Des interrogations affleurent également quant à la délimitation vague du champ d'intervention de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement, organe dont la nature aurait pu commander une définition restrictive et précise des attributions.

Quant au Conseil des Ministres, sa composition limitée aux seuls ministres en charge de la justice et à ceux chargés des finances dans les Etats parties interroge la pertinence de l'exclusion, au regard du processus législatif notamment, des nombreux autres ministères qui, dans l'ordre interne des Etats, ont dans leurs attributions des questions appréhendées par l'OHADA. Plus fondamentalement, l'on se demande si le Conseil des Ministres peut demeurer seul législateur. Ne faut-il pas imaginer des mécanismes d'amélioration de la participation nationale à l'élaboration des normes intégrées de droit des affaires ?

A vrai dire, cette question de politique législative se situe à la jonction de l'institutionnel et du normatif. Elle invite à repenser, au-delà des organes commis à l'édiction du droit uniforme, la méthode même de production des normes du droit des affaires OHADA.

B. Repenser le système normatif

Bien que l'intitulé du Traité évoque l'harmonisation, l'OHADA a fait le choix d'adopter des règles de droit matériel communes aux Etats membres en recourant au procédé de l'uniformisation législative. Cette modalité de production normative a permis de doter nos Etats d'un solide corps de normes permettant d'encadrer, quasiment à l'identique, les activités économiques au sein des différents pays membres. L'évaluation de ce corpus normatif révèle cependant qu'il ne satisfait pas toujours aux exigences d'effectivité, d'efficacité et d'efficience attendues de toute loi de qualité.

L'enseignement qui en découle est double. D'une part, ce constat invite à explorer, aux côtés du procédé rigide de l'uniformisation législative, des modalités souples de production normative relevant d'une véritable politique d'harmonisation. D'autre part, et en considération de ce que le monde des affaires s'accommode mal de la rigidité des normes, il conviendrait d'aménager plus d'espaces de liberté au bénéfice des acteurs économiques, dans un contexte normatif ou l'imposé l'emporte encore trop souvent sur le négocié.

En définitive, le système OHADA, même opérationnel et plutôt satisfaisant dans son fonctionnement, foisonne encore de potentialités que l'on n'a pas fini d'explorer. Les pistes d'amélioration évoquées pourraient accroître l'impact sociétal du système OHADA, en termes de facilitation et de sécurisation juridique de la pratique des affaires. Mais d'autres progrès importants sont d'ores et déjà envisageables, même en l'état actuel du système. Outiller convenablement les acteurs de la mise en œuvre du droit OHADA contribuerait, en effet, à mieux conformer le comportement des acteurs sociaux au prescrit de la norme uniforme et, par conséquent, à améliorer significativement l'organisation de la vie sociale.

II. Outiller les acteurs de la mise en œuvre du droit OHADA

Les normes OHADA de droit matériel ne peuvent remplir leur finalité sociale que si elles sont convenablement appliquées. C'est à cette condition qu'elles peuvent remplir leur fonction de régulation des rapports sociaux et des comportements individuels, dans le cadre d'un litige ou en dehors de tout différend.

Il apparaît cependant que le droit OHADA souffre des faiblesses d'une application quotidienne déficitaire, soit que la norme est simplement ignorée par ses destinataires, soit qu'elle est mal interprétée ou mal appliquée, compromettant dans tous les cas l'efficacité et souvent l'effectivité même de la règle. Il est donc essentiel que les différents destinataires du droit OHADA soient en mesure d'appliquer convenablement les Actes uniformes dans les diverses situations de la vie sociale couvertes par ceux-ci. Cela nécessite que tous les acteurs concernés soient adéquatement outillés : ceux qui sont chargés de l'exécution contentieuse du droit OHADA (B), mais également ceux qui sont interpellés par la mise en œuvre non contentieuse des Actes uniformes (A).

A. Outiller les acteurs pour la mise en œuvre non contentieuse du droit OHADA

Les rapports qu'entretient le citoyen avec les règles juridiques en dehors de tout litige tiennent une place primordiale dans l'effectivité de la norme. C'est en conformant spontanément leur comportement au prescrit des Actes uniformes que les acteurs sociaux mettent le droit OHADA en mouvement et lui donnent vie, le procès relevant alors, en quelque sorte, d'une exécution pathologique.

L'observation révèle pourtant d'importantes déficiences dans l'application non contentieuse du droit OHADA, du fait d'une insuffisante appropriation des textes par leurs destinataires. On note, ainsi, qu'aux dépens de l'effectivité de la règle : de nombreux professionnels ne tiennent pas une comptabilité conforme aux exigences de l'Acte uniforme relatif au droit comptable et à l'information financière ; plusieurs sociétés astreintes à l'obligation de désigner un commissaire aux comptes n'y procèdent pas et, lorsqu'il en existe un, le commissaire aux comptes ignore en règle générale son devoir d'alerte et de révélation des faits délictueux ; les dispensateurs de crédit sacralisent toujours l'hypothèque en ignorant les multiples autres formes de garantie consacrées par le droit uniforme...

D'autres déficiences encore entament l'efficacité des règles. Ainsi, le preneur dans un bail à usage professionnel est parfois frustré de son droit légal au renouvellement du seul fait d'avoir manqué à son obligation d'en faire la demande ; l'inobservation des dispositions relatives à la destination du bien grevé compromet souvent l'efficacité de l'hypothèque ; la non-soumission des sûretés minières à la nécessaire approbation des organes sociaux ou le défaut d'enregistrement simultané de ces sûretés au RCCM et au registre des titres miniers en altère les possibilités de réalisation ; l'inexécution ou la mauvaise exécution de ses diligences par le tiers saisi ou encore la négligence de l'huissier de justice quant au formalisme des actes de saisie compromettent l'efficacité de l'exécution...

Il est vrai qu'à certains égards, la technicité de la matière peut expliquer les errements de la pratique. A titre d'exemple, le faible niveau de mobilisation de la société coopérative comme outil de développement serait pour partie justifié par la difficulté à saisir les spécificités de cette forme sociale par rapport à la société commerciale ; les convocations de l'assemblée générale par l'actionnaire unique en lieu et place du conseil d'administration et les nominations de dirigeants sociaux par des autorités incompétentes seraient liées aux subtilités des règles du droit des sociétés. ; les procédures collectives seraient mal servies par des règles tatillonnes et complexes... Pour autant, la technicité soulignée des règles n'est pas un obstacle dirimant à leur appropriation. Une stratégie appropriée de renforcement des capacités des acteurs concernés doit permettre à ceux-ci d'appliquer convenablement le droit OHADA dans l'exercice de leurs activités quotidiennes, de façon à prévenir certains contentieux. Ce besoin de renforcement de capacités s'impose également pour une bonne mise en œuvre contentieuse des Actes uniformes.

B. Outiller les acteurs pour la mise en œuvre contentieuse du droit OHADA

Le contentieux de l'application du droit OHADA laisse apparaître des déficiences elles-mêmes révélatrices de la nécessité d'un meilleur renforcement des capacités des différents acteurs de la chaîne judiciaire.

Cela est vrai du ministère public qui, en pratique n'aime pas les procédures collectives à hauteur des prévisions du législateur. La complexité des crimes économiques et financiers nécessite également d'outiller les magistrats du Parquet pour assurer l'efficacité des poursuites face à ces infractions tentaculaires. La spécialisation des magistrats et la création d'un Parquet économique et financier figurent au rang des pistes à explorer dans cette perspective.

Le besoin de formation est tout aussi avéré à l'égard des mandataires judiciaires qui interviennent dans le traitement des difficultés des entreprises, mais aussi à l'égard des avocats qui méconnaissent parfois les règles de compétence d'attribution en matière de procédures collectives.

Le juge, chargé par la loi d'arbitrer les conflits de prétentions, est tout aussi concerné. Adéquatement formé au droit économique, il serait à même de remédier à la lenteur souvent décriée des procédures d'exécution, accompagner, dans des délais utiles, la mise en œuvre des procédures arbitrales et l'exécution des accords de médiation, intervenir de façon raisonnée dans la vie des sociétés commerciales ou encore surveiller de façon appropriée l'action du syndic dans la mise en œuvre des procédures collectives.

Les actions de renforcement des capacités ainsi recommandées seraient d'autant plus efficaces qu'elles s'inscriraient dans un cadre d'échanges permanent et pluridisciplinaire. Par ailleurs, la prise des mesures internes complémentaires ou d'application des Actes uniformes est déterminante de l'effectivité aussi bien que de l'efficacité des normes uniformes. L'activation de la commission nationale de contrôle des mandataires judiciaires et la désignation de l'autorité nationale chargée de la tenue du registre des sociétés coopératives participeraient de cette fin.

La conjugaison de ces différentes actions permettrait, ultimement, d'outiller au mieux les acteurs de la mise en œuvre du droit OHADA, à l'heure où l'entrée en vigueur de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf) augure d'une intensification des échanges économiques et d'un certain renouveau de la pratique des affaires.

Pour toute information complémentaire, veuillez contacter :

Monsieur Pierre LAMAH, Magistrat, Président de la Commission Nationale OHADA de Guinée
Email : lamahpietro79@gmail.com

Commentaires

  • 12/08/2023 03h36 TAMBA PAUL MILLIMOUNO

    Merci à l'OHADA pour le choix d'améliorer la législation des enjeux autour de l'activité économique qui s'étant jusqu'aux organisations sociales je crois en cette occasion une mise à jour du corps enseignants de manière à instruire les prochaines promotions de ces remarquables réformes

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