L'adhésion du Burundi à l'OHADA : un levier stratégique pour un repositionnement stratégique (par Stéphane MORTIER)
- 10/12/2025
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Alors que l'Afrique accélère ses dynamiques d'intégration juridique et économique, le Burundi envisage une adhésion potentiellement décisive à l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA). Cette décision, encore en débat à Bujumbura, dépasse largement la seule réforme technique : elle s'inscrit dans une reconfiguration profonde de l'environnement des affaires et, plus largement, dans une stratégie de repositionnement géopolitique d'un pays longtemps fragilisé par son enclavement et ses crises successives. L'Institut Africain de la Réflexion Stratégique livre ici une analyse des enjeux stratégiques d'une telle adhésion pour le Burundi.
L'OHADA, un instrument juridique devenu outil de puissance régionale
Créée pour faciliter l'intégration économique africaine, l'OHADA s'est imposée comme l'un des dispositifs juridiques les plus aboutis du continent. Son architecture repose sur des Actes uniformes directement applicables et sur une juridiction supranationale, la Cour commune de justice et d'arbitrage (CCJA) offrant sécurité juridique, prévisibilité et efficacité procédurale.
En un peu plus de trois décennies, cette organisation est devenue un facteur de compétitivité pour les États membres, en réduisant le coût du risque juridique pour les investisseurs et en modernisant des domaines juridiques clés : droit des sociétés, sûretés, arbitrage, procédures collectives, etc. Elle constitue aujourd'hui un véritable instrument de puissance normative au service de la stabilité économique.
Burundi : sortir de l'enclavement par la norme
Dans le cas burundais, l'attrait de l'OHADA est intimement lié à la situation socio-économique du pays. L'économie, affaiblie par les crises politiques et le manque d'infrastructures, souffre d'une fragmentation juridique extrême : plus de 80 textes régissent le droit des affaires, souvent flous ou incomplets, difficilement accessibles et appliqués de manière disparate.
Cette instabilité normative a un coût : perte de confiance des investisseurs, lourdeurs administratives, prudence du secteur bancaire, recul de l'investissement direct étranger. Or le Burundi se positionne aujourd'hui à un moment charnière, et l'a clairement exprimé sa stratégie au travers d'une feuille de route intitulée « Vision Burundi Pays Émergent en 2040 et Pays Développé en 2060 ». Pour un État enclavé situé à la jonction de l'Afrique centrale et de l'Afrique de l'Est, l'intégration normative apparaît comme un levier stratégique de désenclavement économique. Se doter d'un droit prévisible et aligné sur les standards régionaux revient à s'insérer plus solidement dans les circuits commerciaux transfrontaliers.
Un choix géoéconomique aux répercussions profondes
L'adhésion à l'OHADA ne se limite pas à sécuriser les opérations économiques : elle reconfigure la place du Burundi dans les chaînes de valeur régionales. Trois impacts géoéconomiques majeurs peuvent être ainsi identifiés :
- La réintégration dans les dynamiques régionales d'investissement. La prévisibilité juridique est devenue un facteur déterminant dans l'allocation des capitaux internationaux. L'OHADA offre un socle juridique unifié couvrant déjà 17 États, représentant un marché interconnecté de plus de 300 millions d'habitants. Pour le Burundi, rejoindre ce bloc signifie accéder à un espace économique élargi. Cela constitue un argument décisif dans une région où la compétition pour les flux d'investissement s'intensifie ;
- La sécurisation de la justice commerciale. Les juridictions commerciales burundaises, malgré leur existence, peinent à répondre aux attentes des opérateurs. L'adhésion à l'OHADA placerait la CCJA à la place de juridiction de troisième degré (cassation), apportant ainsi une jurisprudence centralisée, des délais mieux maîtrisés, une plus grande neutralité décisionnelle et un cadre plus résistant aux aléas politiques. C'est un élément clé dans la lutte contre la perception du risque systémique.
- Le positionnement stratégique dans la région des Grands Lacs. Frontalier avec la République Démocratique du Congo (RDC) et doté d'un accès aux corridors logistiques vers l'Afrique de l'Est, le Burundi pourrait capter une partie du commerce régional, à condition de garantir un environnement juridique compétitif. L'expérience congolaise, depuis son adhésion en 2012, montre qu'une entrée dans l'OHADA peut produire des effets tangibles sur l'attractivité économique.
Souveraineté juridique et intégration régionale
L'adhésion du Burundi à l'OHADA, malgré les avantages identifiés, implique des défis à relever. Avant tout, adhérer au corpus juridique OHADA induit une adaptation profonde du cadre normatif national. C'est en ce sens qu'une étude de faisabilité a été remise aux autorités burundaises en juin 2025. Celle-ci est appuyée depuis octobre 2025 par un ouvrage collectif (OHADA Burundi. Perspectives stratégiques et convergences juridiques) centralisant les contributions d'une quarantaine de spécialistes de l'OHADA pour lesquels aucune incompatibilité ni révolution juridique n'est à prévoir. Toutefois, selon l'Institut Africain de la Réflexion Stratégique, un accompagnement des professionnels du droit (magistrats, avocats, notaires), du chiffre (comptables) et du secteur privé (juriste d'entreprise) sera nécessaire.
L'adhésion pose également la question de la souveraineté juridique : transférer une partie de l'interprétation du droit des affaires à une juridiction supranationale (la CCJA) constitue une décision politique majeure. Mais pour un pays en quête de stabilité et d'attractivité, cette limitation relative de souveraineté peut être comprise comme un investissement stratégique pour accroître la compétitivité structurelle.
Le Burundi sera-t-il le 18ᵉ membre de l'OHADA ?
L'adhésion dépendra de la capacité du gouvernement à anticiper les réformes techniques, à mobiliser les milieux d'affaires et surtout à inscrire le changement dans les priorités du Plan National de Développement. Si ces conditions sont réunies, l'entrée dans l'OHADA pourrait devenir un accélérateur de transformation économique et repositionner le Burundi au cœur de l'intégration juridique africaine.
Cela ne relève pas d'un simple ajustement juridique. C'est un choix stratégique aux implications géopolitiques, économiques et institutionnelles majeures. À l'heure où les États africains misent sur la convergence normative pour renforcer leur place dans les chaînes de valeur mondiales, le Burundi pourrait trouver dans l'OHADA un levier déterminant pour dépasser les contraintes structurelles de son enclavement et se repositionner comme un acteur régional plus attractif.
Stéphane MORTIER
Centre de Sécurité Économique et Protection des Entreprises, Direction Générale de la Gendarmerie Nationale. Stéphane Mortier est Adjoint au Centre Sécurité Économique et Protection des Entreprises, Direction Générale de la Gendarmerie Nationale (France).
Docteur en sciences de gestion de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I), il est également diplômé en sciences politiques, en sociologie et en relations internationales de l'Université libre de Bruxelles (ULB), en management stratégique et intelligence économique de l'École de Guerre Économique. Il exerce depuis une quinzaine d'années dans l'intelligence économique en administration centrale (politique publique de sécurité économique). Il est l'auteur de plusieurs articles et ouvrages relatifs à l'intelligence économique, à la cybersécurité et aux aspects stratégiques du droit OHADA, dont le Manuel de l'intelligence économique en Afrique publié chez VA Editions.
Il est enseignant dans plusieurs universités en France et en Afrique ainsi qu'à l'École de Guerre Économique. Il participe activement à la diffusion du droit OHADA (Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) dans le cadre des activités de l'Association pour l'Unification du Droit en Afrique (UNIDA).
Source : mediazine.ci

10/12/2025 08h56 DON JOSÉ MUANDA NKOLE WA YAHVE
Nous nous réjouissons d'ores et déjà de l'adhésion du Burundi au Traité OHADA qui va redéfinir également l'approche stratégique de relations commerciales et économiques.
Certes, ce repositionnement stratégique a des opportunités socio-économiques tant attendus par les acteurs du secteur d'affaires en République Démocratique du Congo.
Tous nos vœux de succès.
CERDA
Prof Don José Muanda