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« L'adhésion du Burundi à l'OHADA, enjeux stratégiques et juridiques », par Stéphane MORTIER, Intelligence économique, diplomatie d'affaires, gestion de projets internationaux

  • 08/12/2025
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L'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a défini ses grands objectifs dans le préambule et l'article 1er du Traité de Port Louis du 17 octobre 1993 : accomplir des progrès sur la voie de l'unité africaine ; établir un courant de confiance en faveur des économies africaines ; instaurer un droit des affaires simple, moderne et adapté ; faciliter l'activité des entreprises ; garantir la sécurité juridique des activités économiques ; encourager l'investissement ; mise en œuvre de procédures judiciaires ou amiables adaptées. Cela représente une initiative régionale pionnière visant à sécuriser l'environnement juridique des affaires en Afrique par l'adoption d'Actes Uniformes directement applicables. On peut considérer l'OHADA comme une des intégrations juridiques les plus aboutie au monde. Dans le contexte de la reconstruction économique et de la recherche d'une croissance durable, le Burundi à mis en place sa stratégie Vision Burundi Pays Émergent en 2040 et Pays Développé en 2060. Cette stratégie prône la réforme de l'environnement des affaires et la promotion des investissements.

L'adhésion du Burundi à l'OHADA peut être vue non seulement comme une réforme technique, mais aussi comme une décision stratégique fondamentale pour l'atteinte des objectifs nationaux définis dans sa stratégie. La communauté juridique burundaise étudie activement la pertinence et la faisabilité de cette adhésion, soulignant les bénéfices substantiels qu'un tel rapprochement apporterait en termes de dynamisme, de compétitivité, et de sécurité. Le Burundi deviendra-t-il alors le 18e État membre de l'OHADA ?

​L'état des lieux et la vision future

​Le Burundi, pays enclavé ayant subi des crises récurrentes, est confronté à la nécessité impérieuse d'une reconstruction économique profonde. L'amélioration du climat des affaires et l'assurance de son ouverture au monde sont des conditions préalables à son développement. Situé à l'intersection de l'Afrique centrale et de l'Afrique de l'Est, son positionnement géographique lui confère un avantage compétitif s'il est pleinement exploité. C'est pourquoi la stratégie nationale est ambitieuse : le pays aspire à devenir une « nation émergente en 2040 et développée en 2060 ». Cette vision exige la mise en œuvre d'une croissance soutenue et inclusive pour une résilience économique et un développement durable. L'attraction de capitaux étrangers est présentée comme le moteur essentiel de cette croissance. Dans cette perspective, l'adhésion à l'OHADA peut-être considérée comme l'un des principaux vecteurs. En effet, le droit OHADA a apporté dans les États membres un élan de sécurité juridique et judiciaire, réduisant ainsi les incertitudes des investisseurs. Cette perspective est également vue comme un outil d'opérationnalisation du Plan National de Développement (PND 2018-2027), en particulier les piliers visant la relance de la croissance économique et la réduction de la pauvreté, objectifs qui dépendent intrinsèquement de la promotion d'une économie compétitive fondée sur l'attraction des capitaux.

​Quant au corpus juridique burundais en droit des affaires, malgré des efforts récents de renouvellement, il souffre de déficiences structurelles qui minent la confiance des investisseurs, notamment dans le domaine des sûretés. L'environnement juridique actuel est caractérisé par la complexité et la lenteur des procédures. Le droit des affaires est actuellement disséminé dans une multitude de législations (plus de 80 textes législatifs et réglementaires) sans lien de cohérence clair. Cette fragmentation législative rend l'accès et l'interprétation du droit des affaires extrêmement difficiles pour les opérateurs économiques nationaux et internationaux. L'insécurité juridique est de plus accentuée par une publication des décisions judiciaires parcellaire, ce qui entrave la prévisibilité de l'application du droit. Toutefois les juridictions commerciales sont en place et fonctionnent au Burundi. Dans l'exemple du pays voisin, la République Démocratique du Congo qui a adhéré à l'OHADA en 2012, avant l'adhésion, seules 6 % des procédures de recouvrement de créances étaient exécutées, aujourd'hui c'est presque la totalité. Le droit OHADA a donc bel et bien un impact sur le fonctionnement de la justice commerciale. Actuellement au Burundi, les faiblesses persistantes évoquée ci-dessus entravent l'attractivité économique du pays et freinent inéluctablement la réalisation de la Vision 2040-2060, rendant l'option d'une réforme profonde par l'OHADA non seulement souhaitable, mais nécessaire.

​Le droit OHADA pour plus de sécurité et de stabilité

​La force stratégique de l'OHADA réside dans la stabilité supranationale qu'elle confère au droit des affaires. Les règles communes adoptées par les États membres, selon un processus décisionnel décrit dans le traité de Port-Louis (1993) sont directement applicables et obligatoires dans tous les États membres, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, qu'elle soit antérieure ou postérieure. Adhérer à l'OHADA permet alors de remplacer un corpus juridique flou, voir obsolète par de nouvelles règles ayant fait leurs preuves dans les 17 États membres actuels. Cette supranationalité et l'application directe constituent la garantie fondamentale pour l'investissement à long terme et est renforcée par un troisième niveau de juridiction (cassation) dans les mains d'un Cour commune de justice et d'arbitrage (CCJA) régionale. Pour les investisseurs, qu'ils soient étrangers, régionaux ou nationaux, la prévisibilité et la pérennité de la règle de droit, ainsi que son application, sont primordiales. L'intégration dans le système OHADA transfère ainsi la souveraineté normative du droit des affaires à un organe communautaire et le dernier recours juridique à une Cour commune. Par conséquent, la règle juridique est isolée des changements de politique interne ou des instabilités législatives nationales et son application peut-être vue par une instance régionale.

Plusieurs visites officielles des instances de l'OHADA au Burundi se sont déjà déroulées. Une étude de faisabilité quant à la possible adhésion du Burundi a été remise au gouvernement en juin 2025. Complétée par un ouvrage collectif ayant réunis une quarantaine d'experts (OHADA Burundi. Perspectives stratégiques et convergences juridique), ni incompatibilité, ni contradiction, ni « révolution juridique » n'ont pu être mises en exergue. Le moment est probablement venu pour l'OHADA d'accueillir un 18e membre partageant les mêmes objectifs.

Au-delà du Burundi, l'OHADA un modèle qui séduit

Bien que d'autres États aient également fait montre d'intérêt pour l'OHADA, comme Madagascar, le Maroc, le Mozambique,... il est important de souligner qu'à l'extérieur du continent africain, l'OHADA sert de modèle. Dans la Caraïbes a été créée l'Organisation pour l'Harmonisation du Droit des Affaires dans la Caraïbes (OHADAC) disposant de son propre Centre d'arbitrage. Organisée sous un modèle totalement différent de l'OHADA, c'est pourtant bien le modèle OHADA qui a servi d'inspiration.

Plus récemment, dans l'Union européenne l'idée d'un Code européen des affaires commence à faire son chemin. D'abord porté par la France, puis par l'Italie et l'Allemagne, ce projet est évoqué dans les Rapports Letta et Draghi : le Code européen des affaires serait le 28e régime, commun. Plusieurs acteurs de ce projet affirment clairement qu'il est inspiré par la réussite de l'OHADA.

Ces deux réalités, influencées par l'OHADA et son corpus juridique indiquent clairement l'intérêt de cette forme d'intégration juridique en faveur des acteurs économiques et de l'investissement. Il semble dès lors que pour les États africains qui le souhaitent (et comme le prévoit le traité de Port-Louis), s'inscrire dans ce processus d'harmonisation ne peut que les mettre sur la voie de la réalisation de leurs objectifs stratégiques de développement.

Source : africamutandi.com

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