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Arbitrage / Déclaration d'indépendance / Faux et usage de faux / Obligations de révélation des arbitres / Conflits d'intérêts non révélés / Article du Journal Le Monde du 4 novembre 2013

  • 15/11/2013
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Nous faisons référence à nos précédentes lettres d'information des 14, 17 et 24 août 2013 ; des 03 et 15 septembre 2013 et du 24 octobre 2013.

Votre site www.ohada.com considère que l'arbitrage, en particulier l'arbitrage OHADA, est un mode efficient de résolution des litiges. Néanmoins, cette position de principe ne vaut que si les fondements même de l'arbitrage que sont l'indépendance, l'impartialité et les obligations de révélation des arbitres sont très strictement respectés par les centres d'arbitrages.

A cet égard, nous jugeons utile de porter à votre connaissance cet article intéressant paru dans le Journal français, Le Monde, du 4 novembre 2013 infra : L'arbitre Pierre Estoup, dans l'arbitrage TAPIE, est mis en cause pour faux et usage de faux s'agissant de sa déclaration d'indépendance dans laquelle il aurait menti « par omission » au sujet de ses liens avec les parties à l'arbitrage et notamment Bernard Tapie et son conseil Maurice Lantourne.

Cette affaire montre que le fait d'omettre de mentionner dans une déclaration d'indépendance l'existence d'un lien avec les parties à l'arbitrage peut être analysé sous l'angle du faux et de l'usage de faux. En droit pénal l'infraction ne résulte en effet pas uniquement d'un comportement actif. Il peut s'agir d'un comportement passif, et notamment d'une omission. Le simple fait d'« oublier » de mentionner ses liens avec les parties expose ainsi l'arbitre à des sanctions pénales. Une sanction sera d'autant plus probable que l'omission était intentionnelle. A cet égard, on peut légitimement se demander si le simple fait pour un arbitre de ne pas accomplir les diligences élémentaires pour identifier les liens qui l'unissent aux parties, ne suffit pas à qualifier l'existence d'une intention coupable.

Le sujet des obligations de révélation des arbitres et de leurs sanctions par les centres d'arbitrage est au cœur de l'actualité de l'arbitrage aujourd'hui. Les centres d'arbitrage, qu'il s'agisse de AAA / ICDR, en première ligne dans une autre affaire faisant l'objet d'une instruction pénale conduite par le Juge VAN RUYMBEKE et impliquant un arbitre unique démissionnaire et son cabinet d'avocats canadien de tout premier plan, de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) ou de la London Court of International Arbitration (LCIA) doivent avoir à cœur de veiller au très strict respect de ses obligations de révélation.

Une absence de révélation par un arbitre est un mensonge par omission, volontaire ou involontaire. Dans tous les cas, et les principes fondateurs de l'arbitrage, repris dans les statuts des centres d'arbitrages précités, en particulier de l'ICDR, sont très clairs, les défauts de révélation doivent être immédiatement sanctionnés par les centres d'arbitrage. Sinon, c'est la crédibilité de l'arbitrage qui est mise en cause, et les centres d'arbitrage défaillants doivent être mis à l'index et les sentences arbitrales rendues sous leur égide perdre toute crédibilité et portée juridique. Il y va de l'avenir de l'arbitrage.

LES JUGES ET LE « SIMULACRE » DE L'ARBITRAGE TAPIE.

Article paru dans LE MONDE le 04.11.2013, Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme.
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/11/04/les-juges-et-le-simulacre-de-l-arbitrage-t_3507683_3224.html

L'ancien magistrat Pierre Estoup, cheville ouvrière de l'arbitrage Tapie, déjà poursuivi pour « escroquerie en bande organisée », convoqué, lundi, a été mis en examen mardi 5 novembre pour « faux en écriture privée », par les juges Serge Tournaire, Guillaume Daïeff et Claire Thépaut. Ces magistrats enquêtent sur l'arbitrage - qu'ils qualifient de « simulacre » - ayant permis à Bernard Tapie de percevoir 405 millions d'euros, en juillet 2008, dans le cadre de son litige avec le Crédit lyonnais. Les magistrats disposent de nouveaux éléments, qu'ils estiment de nature à remettre en cause l'arbitrage.

Ces éléments sont synthétisés dans un procès-verbal de la brigade financière du 4 octobre qui récapitule les honoraires perçus en qualité de consultant par Pierre Estoup de 1992 à 2013. Un tableau qu'ils ont pu établir après avoir perquisitionné le domicile de l'ancien magistrat, à Thionville (Moselle). Les policiers ont constaté que M. Estoup avait touché, « sur la période 1997-2006 (...), 808 987 euros d'honoraires relatifs à des dossiers liés à Mes Maurice Lantourne et Francis Chouraqui », avocats ayant œuvré ou étant toujours au service de Bernard Tapie. La brigade financière conclut que « ce montant représente 42,38 % du chiffre d'affaires de Pierre Estoup » sur cette période.

M. ESTOUP AURAIT SCIEMMENT MENTI, AU MOINS PAR OMISSION

Or, pour être désigné juge arbitral, Pierre Estoup avait dû signer le 16 novembre 2007 une déclaration d'indépendance, comportant une « obligation de révélation étendue » certifiant qu'il n'était pas lié aux parties en présence. Les magistrats estiment que M. Estoup a donc sciemment menti, au moins par omission, lors de sa désignation. C'est ce qui fonde notamment le réquisitoire supplétif accordé aux juges par le parquet de Paris, le 21 octobre, leur permettant d'enquêter sur des faits de « faux et usage de faux ». Ce procès-verbal pourrait aussi permettre à l'Etat de conforter sa démarche d'annulation de l'arbitrage.

Pourtant, dans un entretien accordé aux Echos du 4 novembre, M. Tapie assure : « Pierre Estoup, je ne l'avais jamais vu avant l'arbitrage. » Les magistrats en doutent fortement. Comment expliquer dans ce cas les 808 987 euros perçus par le juge arbitre en neuf ans, auprès des avocats de Bernard Tapie ? Il y a aussi cette mention, dans son agenda 2006, évoquant à la date du 30 août, à 15 heures, un rendez-vous « Tapie ». M. Estoup assure aujourd'hui qu'il n'était pas en France ce 30 août. « J'affirme ne pas avoir rencontré Bernard Tapie », dit-il aux juges, le 22 octobre.

Dès le lendemain, pourtant, le 31 août 2006, un collaborateur de Me Lantourne (conseil de M. Tapie) adressera une note à l'homme d'affaires indiquant que « l'arbitrage est la seule procédure » à mettre en œuvre. « Il ne faut pas attendre pour mettre en place, confidentiellement, la procédure », poursuit la note. De fait, le 8 septembre 2006, l'agenda de Me Lantourne mentionne une rencontre avec M. Estoup. Les 5 et 12 septembre 2006, plusieurs documents ayant trait à la procédure Tapie sont adressés à M. Estoup, qui dit ne pas les avoir reçus. « Vous les avez fait disparaître », interrogent les juges ? « C'est votre hypothèse », répond M. Estoup.

Mais il y a surtout cette dédicace troublante, rédigée par Bernard Tapie en juin 1998, et trouvée en perquisition dans la bibliothèque de M. Estoup : « Votre soutien a changé le cours de mon destin. » Aux juges, M. Estoup explique avoir simplement donné son avis sur une éventuelle « confusion de peine » qui aurait pu être accordée à M. Tapie, alors visé par de nombreuses poursuites judiciaires. Sauf que cette confusion de peine est intervenue le 10 mars 1999. Et la dédicace personnalisée de M. Tapie est datée du 10 juin 1998, soit neuf mois plus tôt...

Les enquêteurs formulent une autre hypothèse. Ils relient cette dédicace à une décision rendue le 4 juin 1998 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans l'affaire des comptes de l'OM. La 5e chambre était alors présidée par Franck Lapeyrère, et, selon les juges, « cette décision a pu être qualifiée de clémente » dans la mesure où Bernard Tapie échappait à la peine de prison ferme prononcée en première instance.

Les magistrats se sont donc penchés sur le passé de M. Lapeyrère. Ils ont découvert un courrier, adressé par M. Estoup le 5 décembre 1983 à la direction des services judiciaires et recommandant chaudement la nomination comme vice-président au tribunal de Nancy de M. Lapeyrère. M. Estoup était alors président du même tribunal, et il parlait de M. Lapeyrère comme de l'un des « éléments les plus brillants » de sa promotion. Donc, c'est avéré, Pierre Estoup et Franck Lapeyrère se connaissaient très bien. M. Estoup, qui travaillait alors pour Me Chouraqui, avocat de M. Tapie, a-t-il tenté d'utiliser cette proximité avec son collègue pour influer sur le sort judiciaire de l'homme d'affaires ?

Entendu une première fois par les policiers en juin, M. Lapeyrère s'était déjà souvenu de deux visites de M. Estoup à Aix-en-Provence. « M. Estoup a essayé de me voir avant que l'affaire ne vienne à l'audience », s'était-il rappelé. Il disait ne pas avoir donné suite. Interrogé cette fois par les juges le 18 octobre, M. Lapeyrère a été plus précis : il pense que le premier déplacement de M. Estoup à Aix-en-Provence se situait « quinze jours avant le début de l'audience ». M. Estoup dément avoir voulu influencer son collègue : « C'est une coïncidence (...). Je ne savais pas que Franck Lapeyrère allait présider l'audience des comptes de l'OM », a-t-il indiqué aux juges.

Les enquêteurs demeurent circonspects. D'autant que M. Lapeyrère leur a confié avoir reçu une autre visite, avant l'audience cruciale, celle de deux hommes, dont un avocat parisien, venus évoquer le cas de M. Tapie : « Au vu des photographies de Me Chouraqui, cette personne pourrait être celle qui s'est présentée comme l'avocat parisien de Bernard Tapie... (...). Je lui ai dit que cette démarche n'était pas opportune. ».

La « troublante » démarche de M. Estoup auprès de Total

Dans le cadre de leurs investigations sur Pierre Estoup, les enquêteurs s'intéressent à un litige commercial ayant opposé Total à l'entreprise Lutin - défendue par Me Francis Chouraqui, ex-avocat de Bernard Tapie. La société, immatriculée aux îles Vierges, prétendait avoir contribué au développement de champs pétrolifères au Nigeria et réclamait à Total 20 millions de dollars... par l'intermédiaire de M. Estoup.

Directeur juridique de Total, Peter Herbel a expliqué aux policiers qu'« en 2004, il y a [eu] une intervention de M. Estoup auprès de nous pour soi-disant trouver une transaction (...). Il a dit qu'il allait régler le litige si on suivait ses préconisations. M. Estoup a dit un certain nombre de choses que nous avons prises pour du chantage. Il nous a fait comprendre que si nous n'acceptions [pas] ses propositions, nous n'aurions plus de concessions au Nigeria. »

Juriste chez Total, Séverine Bréjon a confirmé ces faits. Elle a ajouté, à propos de M. Estoup, que l'affaire Tapie lui rappelait « le dossier Lutin et le caractère troublant de sa démarche dans ce dossier ».

Article paru dans LE MONDE le 04.11.2013, Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme.
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/11/04/les-juges-et-le-simulacre-de-l-arbitrage-t_3507683_3224.html

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