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Arbitrage / Conflit d'intérêts non sanctionnés des arbitres / Plaidoyer en faveur de modification du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l'arbitrage

  • 24/10/2013
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Nous faisons référence à nos précédentes lettres d'information des 14, 17, et 24 août 2013 et des 03 et 15 septembre 2013.

L'arbitrage est un mode de règlement des litiges qui a contribué de manière très significative au succès de la réforme d'unification du droit des affaires OHADA et qui a été placé au cœur de cette réforme par ses pères fondateurs.

Cependant, les affaires actuelles relatives aux conflits d'intérêts non révélés et non sanctionnés des arbitres mettent aujourd'hui directement en danger la crédibilité de l'arbitrage au niveau mondial. Ces affaires sont nombreuses ; en restant dans le seul espace francophone, nous pouvons citer : l'arbitrage TAPIE, impliquant un arbitre proche de l'avocat de Bernard TAPIE, l'arbitrage dont le Groupe TOTAL est victime impliquant un ancien Président du Tribunal de Commerce de Paris et un Centre d'arbitrage suédois défaillant et l'arbitrage ICDR impliquant l'arbitre unique démissionnaire Henri ALVAREZ et son cabinet d'avocat canadien, FASKEN MARTINEAU DUMOULIN LLP.

Ces trois affaires emblématiques des dysfonctionnements de l'arbitrage font chacune l'objet de plaintes pénales instruites par des juges d'instruction.

Non sanctionnées par les centres privés d'arbitrage qui protègent leurs arbitres, elles démontrent combien la justice privée conventionnelle qu'est l'arbitrage doit rester encadrée strictement par le juge judiciaire, seul vrai garant de l'Etat de droit, comme elles le sont aujourd'hui par la CCJA OHADA, dès lors qu'il s'agit d'un arbitrage OHADA. Ce contrôle du juge judiciaire paraît être une condition fondamentale de la crédibilité de l'arbitrage et de sa pérennité comme mode de règle alternatif légitime des litiges.

Comme votre site www.ohada.com n'a pas manqué de le faire valoir, de nombreux grands juristes ont démontré que le décret français du 13 janvier 2011 relatif à l'arbitrage ouvre une brèche très grave dans le contrôle par le juge judiciaire de la légalité des sentences arbitrales (voir article Mes MIGNARD et HUET dans la Gazette du Palais du 7 septembre 2013).

En effet, ce décret supprime l'effet suspensif des recours, sans pour autant rendre contradictoire la procédure d'exequatur en première instance.

Une telle évolution normative ultralibérale, consacrant le primat de l'avocat et du juge privé face à celle du juge judiciaire, doit à notre sens être combattue avec énergie. Elle place les parties victimes d'un arbitre conflicté et non sanctionné, car protégé par son centre d'arbitrage, dans une situation inacceptable au regard des règles les plus élémentaires du droit. A notre sens, cette évolution, en allant beaucoup trop loin dans la voie de l'ultralibéralisme et de la justice privée, met directement en péril la légitimité même de la justice arbitrale.

C'est pourquoi, au nom de l'Etat de droit, et de la protection même de l'arbitrage, qui doit rester une justice privée encadrée de manière satisfaisante et efficace par le juge judiciaire, c'est le cas de l'arbitrage OHADA, votre site www.ohada.com souhaite vous livrer le plaidoyer et l'argumentaire infra en faveur de la révision du décret français du 13 janvier 2011 relatif à l'arbitrage.

Les premières décisions judiciaires se fondant sur ce décret, qui concerne les conventions d'arbitrages et les sentences arbitrales rendues après le 1er mai 2011, commencent en effet à être rendues, confirmant les dysfonctionnements que nous pressentions et les craintes dont nous vous avions fait part précédemment.

En modifiant l'article 1526 alinéa 1 du Code de procédure civile français, le décret de 2011 a supprimé le caractère suspensif de l'appel d'une ordonnance d'exequatur. Cette modification des règles procédurales, qui vise à empêcher certains recours dilatoires, s'avère particulièrement dangereuse lorsque le recours de l'appelant est fondé sur des griefs légitimes et sérieux tenant à la violation de l'ordre public international (notamment absence de révélation d'un conflit d'intérêt d'un arbitre conduisant automatiquement, au moins en apparence, à une absence d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre disqualifiant de manière automatique ce dernier).

En effet la procédure d'exequatur devant le Tribunal de Grande Instance est une procédure non contradictoire. Le juge de l'exequatur ne peut donc véritablement opérer un contrôle sur la conformité de la sentence à l'ordre public international, dans la mesure où il se fonde sur les seuls éléments communiqués par le demandeur. Dans la pratique, l'exequatur est donc accordé de manière quasi-automatique, et une fois que la décision est signifiée au défendeur, la sentence arbitrale est immédiatement exécutoire en France.

Tout d'abord, certaines décisions récentes montrent que si le demandeur transfère l'argent reçu au titre de la condamnation hors de France, il sort du champ d'application du droit français, et quelle que soit la décision rendue ultérieurement par la Cour d'appel, la validité de la sentence n'est pas affectée dans les autres pays du monde, rendant impossible la restitution des sommes versées (cf. notamment ordonnance. n°13/02612 23 avril 2013 Premier Président de la Cour d'appel de Paris).

Ensuite, et c'est sur quoi il convient d'insister, nous avons pu constater que lorsque l'intimé est une société étrangère, la procédure de contestation de l'ordonnance d'exequatur devant la Cour d'appel bute sur une question pratique aux implications très fortes pour l'appelant. En effet, si l'intimé ne constitue pas avocat devant la Cour d'appel et ne se manifeste pas dans cette procédure, il revient à l'intimé de lui signifier ses conclusions d'appelant.

L'article 909 du Code de procédure civile précise en effet que l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour conclure et former le cas échéant, appel incident (outre le délai de distance de deux mois prévu par l'article 643 du Code de procédure civile).

Or la notification internationale des actes judiciaires et extra-judiciaires implique des délais particulièrement longs, notamment lorsque l'acte doit être notifié en dehors de l'Union Européenne.

La notification doit en effet avoir lieu par voie de signification à parquet, et il revient ensuite au ministère public d'en assurer la transmission au ministre de la justice ou directement à l'autorité étrangère compétente, selon le pays de destination et les dispositions conventionnelles existantes.

Conformément à la circulaire de la direction des affaires civiles et du sceau relative à la notification des actes judiciaires ou extrajudiciaires en matière civile et commerciale (CIV 2004-09 D3/18-08-2004), et sauf convention contraire, le circuit est donc le suivant :

  • Huissier de justice,
  • Parquet,
  • Chancellerie,
  • Ministère des Affaires étrangères en France,
  • Ambassade de France,
  • Ministère des Affaires étrangères dans le pays de destination,
  • Ministère de la justice étranger,
  • Autorité étrangère compétente pour notifier,
  • Destinataire de l'acte.

Si l'intimé ne constitue pas ministère d'avocat devant la Cour d'appel, il faut donc souvent attendre six mois à un an avant que les conclusions d'appelant soient signifiées à l'intimé, allongeant très significativement les délais de procédure. Au regard du caractère non-suspensif de l'appel, et des enjeux considérables parfois associés à l'exécution des sentences arbitrales, ces délais peuvent placer la société appelante dans une situation très délicate, parfois inacceptable.

Pour l'ensemble de ces raisons, il apparaît urgent de modifier les règles applicables à la procédure d'exequatur des sentences arbitrales sur le territoire français, et ce afin de protéger les entreprises contre une possible instrumentalisation de l'arbitrage à des fins frauduleuses.

Afin de ne pas retomber dans les écueils du système antérieur au décret de 2011 tout en corrigeant les déséquilibres du système actuel, il serait possible de maintenir le caractère suspensif de l'appel tout en instaurant un débat contradictoire, limité aux seules questions de violation de l'ordre public international, et encadré par des délais stricts, dès la première instance, lors de la procédure d'exequatur devant le Tribunal de Grande Instance.

Nous pensons en effet que de telles règles permettraient de garantir à la fois l'efficacité des sentences arbitrales et la protection des droits des parties, et ainsi de trouver un équilibre entre ces deux impératifs dont l'Etat se doit d'être le garant.

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