Burkina Faso - Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme : Les notaires resserrent les rangs
- 21/07/2025
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- 🇧🇫 Burkina-Faso
Officiers publics chargés d'assurer un service public de preuve, de sécurité juridique des actes civils et commerciaux, les notaires occupent de ce fait une place capitale et stratégique, non seulement dans la vie quotidienne des citoyens, mais également dans la lutte contre des phénomènes qui menacent les sociétés. C'est fort de cela que l'Ordre des notaires du Burkina Faso (ONBF) a outillé ses membres sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, les 16 et 17 juillet 2025 à Ouagadougou.
Cette formation se tient en deux sessions : à Ouagadougou pour les notaires de la capitale politique et ses environs, et dans la capitale économique, Bobo-Dioulasso en fin juillet, pour ceux de cette partie du pays. Le thème retenu est : « Les mécanismes de prévention et de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme dans le secteur notarial ».
Par cette initiative, l'Ordre des notaires du Burkina Faso (ONBF) veut renforcer les capacités techniques et juridiques des notaires en matière de Lutte contre le blanchiment et le Financement du terrorisme (LBC/FT) ; garantir la conformité de la profession vis-à-vis des nouvelles exigences réglementaires nationales et internationales ; préparer le secteur notarial à la prochaine évaluation du Groupe d'action financière (GAFI), en y apportant des preuves concrètes d'engagement et de professionnalisme.
Durant les deux jours de formation, sanctionnée par une attestation, les participants, venus de plusieurs localités, ont été outillés par un vétéran de la question et dans une démarche participative. Questions d'éclairage, commentaires, regards critiques sur certaines dispositions et réalités... les 48 heures n'ont pas été de tout repos pour le formateur et les participants.
De quoi susciter, à l'issue de la session, un sentiment de mission accomplie et de fierté chez le président de l'ONBF, Yacouba Dembélé, qui s'est félicité non seulement de la « mobilisation inédite » des notaires, mais aussi du déroulement du contenu. Pour lui, au-delà de contribuer à améliorer les prestations offertes aux citoyens, ce renforcement de capacités va aider l'État à sortir de la liste grise du GAFI sur laquelle le Burkina Faso est épinglé.
« Il n'est un secret pour personne que le Burkina Faso est inscrit depuis 2021 sur la liste grise du GAFI, et les autorités ne ménagent aucun effort pour déployer tout ce qu'il faut pour que le pays soit conforme. Donc, il était important pour nous d'outiller nos membres pour que le secteur des notaires ne soit pas un secteur à haut risque, afin de sortir de cette liste grise », mesure Me Dembélé.
Selon le président de l'ONBF, avec le maillage de l'ensemble du territoire (jusqu'à une date récente, seules les villes de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso étaient dotées de notaires : Ndlr), et notamment avec les nouveaux notaires nommés, les défis sont nombreux et variés.
« C'est dire donc qu'il y a un certain nombre de questions préalables qui doivent être levées, et également des mesures d'accompagnement que l'on doit prendre à leur endroit, pour leur permettre d'exercer sereinement leur profession. Ce qui amène donc à interpeller les autorités pour nous accompagner et cela pose également des questionnements au niveau de l'ordre pour se repositionner. L'accompagnement peut être dans l'exclusivité en matière d'actes translatifs, extinctifs ou même modificatifs de droits réels et immobiliers. Ce peut aussi être le fait de confier un certain nombre d'actes ou de procédures au notaire, et également de leur permettre des facilités d'installation », plaide le premier responsable de l'ONBF, Me Yacouba Dembélé.
Garantir la transparence, être des acteurs de prévention efficaces
Des enjeux et plaidoyers mis en relief par le contexte à la fois national et international. « Le monde change. Et avec lui, la criminalité évolue : elle devient plus discrète, plus technique, plus infiltrée dans l'économie légale. Derrière une vente immobilière anodine, une création de société, ou un transfert de terrain, peuvent se cacher des réseaux mafieux ou des circuits de financement du terrorisme. Aujourd'hui, l'immobilier est une porte grande ouverte pour blanchir des capitaux au Burkina Faso. Et le foncier, terrain de toutes les convoitises, est devenu un champ vulnérable que nous ne pouvons plus laisser sans garde. (...) Le Burkina Faso, à l'instar de nombreux pays, fait face à des défis multiformes en matière de criminalité financière, de financement illicite du terrorisme et de circulation opaque des capitaux. Dans ce contexte, notre pays a adopté, le 30 décembre 2024, la loi N°046-2024/ALT portant sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Cette réforme s'inscrit dans une démarche volontaire du Burkina Faso pour se conformer aux standards du Groupe d'action financière (GAFI) et du GIABA (Groupe d'action intergouvernemental contre le blanchiment d'argent en Afrique de l'Ouest), et sortir de la liste grise, synonyme de surveillance renforcée », a, dès l'ouverture de la session, campé le président de l'ONBF, ajoutant que face à de telles menaces, les notaires ne peuvent pas être de simples témoins passifs.
« Nous devons être des sentinelles actives, des garants de la transparence et des acteurs de prévention efficaces. (...). Par la rédaction d'actes authentiques, la réception de fonds, la constitution de sociétés ou encore la cession d'immeubles, le notaire peut être exposé consciemment ou inconsciemment à des opérations de blanchiment ou de financement illicite. Il est donc de notre devoir collectif, en tant qu'auxiliaires de justice et officiers publics, de nous armer des outils juridiques, techniques et éthiques pour détecter les opérations suspectes, identifier les bénéficiaires effectifs, refuser d'instrumenter des actes à risque et de déclarer dans les règles les soupçons fondés à la CENTIF (Cellule nationale de traitement des informations financières) », poursuit-il, en soulignant la nécessité de redoubler de vigilance, le notaire étant en première ligne dans cette lutte.
Pour les participants, cette formation vaut son pesant d'or. « En tant qu'officier public, elle va me permettre de contribuer, de prêter davantage main-forte aux autorités dans cette lutte, qui est un combat qui concerne tous les Burkinabè, voire le monde entier, car c'est un phénomène que nul n'ignore et qui gangrène le monde entier », a résumé Me Finfraogo Kuela, notaire à Tenkodogo, ajoutant que la formation permettra aussi d'améliorer la qualité des prestations de services offertes aux concitoyens.
Me Issouf Savadogo, notaire avec résidence professionnelle à Ouahigouya, partage la même appréciation. « Au-delà de son aspect obligatoire, cette formation va nous apporter beaucoup dans nos études ; elle va contribuer à améliorer ce que nous pratiquons et, partant, à protéger au mieux les intérêts de toute la nation », confie-t-il, avant de relever au passage qu'avec la couverture de toutes les localités, la tâche est énorme et implique des actions de sensibilisation et d'information des citoyens.
Me Ida Sanyan estime, elle également, que la formation a, au-delà du dispositif légal général connu des notaires, permis de découvrir bien d'autres aspects liés à la pratique de terrain. « À côté des obligations en matière de blanchiment de capitaux, de financement de terrorisme et de prolifération des armes de destruction massive, nous avons vu les sanctions qui pèsent sur le notaire, en tant qu'assujetti. (...). Au sortir donc de cette session, nous allons mettre en œuvre, dans chaque étude, tout ce que nous avons appris, pour le bien non seulement de l'ordre des notaires, mais également de tout le Burkina Faso », a-t-elle synthétisé.
Pour avoir suivi avec attention le déroulé des travaux, le directeur du contrôle et de la gestion des officiers publics judiciaires, Rasmané Moyenga, a loué le mérite de cette formation qui, accueille-t-il, vient en appui des initiatives ou efforts déjà déployés par le ministère de la Justice, en collaboration avec la CENTIF, en faveur du renforcement des capacités des professions juridiques indépendantes sur la question de la LBC/FT.
« Avec une situation actuelle qui positionne le Burkina Faso sur la liste grise du GAFI, cette initiative des notaires vient faciliter l'action de l'autorité de supervision et de contrôle en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, en ce sens que les assujettis, les notaires qui sont formés durant ces deux jours pourront, en retour, former leurs personnels pour qu'ils s'imprègnent de la matière LBC/FT et également mettre en œuvre le dispositif interne pour chaque structure (élaborer un manuel...), afin de lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme », commente M. Moyenga, rassuré que cette formation va permettre au dispositif national LBC/FT du Burkina de se renforcer en conformité et en crédibilité.
C'est pourquoi il a exhorté les bénéficiaires à une mise en œuvre effective des enseignements reçus au cours des deux jours de formation et d'échanges.
Source : Lefaso.net