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L'Acte Uniforme de l'OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique fait peau neuve

Le législateur communautaire se met au diapason : les technologies de la communication font leur entrée au sein des Assemblées Générales et des Conseils d'administration de l'OHADA.

Plus de 16 ans après son entrée en vigueur, le 1er janvier 1998, l'Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d'Intérêt Economique (AUSCGIE), tel que révisé, a été adopté le 30 janvier 2014 par le Conseil des Ministres de l'OHADA (Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) réuni à Ouagadougou (Burkina Faso).

L'AUSCGIE est l'un des neuf accords cadres actuellement en vigueur, pris pour l'adoption de règles communes prévues par le Traité OHADA. Cet accord international a été porté sur les fonts baptismaux il y a déjà plus de deux décennies, le 17 octobre 1993, par les Chefs d'Etat et de Gouvernement de 14 Etats africains réunis à Port-Louis (République de Maurice). Il a ensuite été révisé à Québec le 17 octobre 2008.

Institution originale, l'OHADA, fondée sur la noble ambition d'une uniformisation du droit des affaires à l'échelle du continent, compte aujourd'hui 17 membres. Son rayonnement sur la scène internationale des affaires est incontestable et, l'Organisation, citée comme exemple d'une intégration juridique et économique réussie, a fait des émules.

L'Acte Uniforme précité, publié au Journal Officiel de l'OHADA le 04 février 2014 et entré en vigueur le 05 mai 2014, s'inscrit en droite ligne de la déclaration des pères fondateurs en Préambule du Traité, lesquels se disaient : « Persuadés que la réalisation de [ces] objectifs suppose la mise en place dans leurs Etats d'un Droit des Affaires harmonisé, simple, moderne et adapté, afin de faciliter l'activité des entreprises ; ». L'ampleur de la révision est considérable puisque plus de 450 dispositions sont impactées par cette réforme qui, en effet, fait la part belle à la simplification et à la modernisation du fonctionnement des entreprises, lesquelles pourront désormais apprécier de « vivre avec leur temps ».

Un tour d'horizon des matières révisées ou des innovations introduites par le législateur communautaire, permet de citer, sans que cette liste soit exhaustive :

  • la facilitation de la tenue des instances statutaires et la simplification des formalités de publicité par la consécration de certains procédés virtuels,
  • l'instauration de la Société par Actions Simplifiée (SAS) et de la société à capital variable,
  • le renforcement du rôle du Commissaire aux comptes, des droits des actionnaires, des règles de transparence et de bonne gouvernance,
  • et enfin, l'introduction de nouvelles incriminations pénales sanctionnant le non respect des dispositions relatives à la gérance, à l'administration et à la direction des sociétés.

Une des innovations majeures est la possibilité offerte, tant aux associés (article 133-2) qu'aux administrateurs (article 454-1), de participer les uns, aux assemblées, et les autres aux réunions du Conseil d'administration par visioconférence ou par d'autres moyens de télécommunication.

Ce progrès notable en matière de droit des sociétés va certainement susciter l'intérêt des multinationales et des grands groupes dont la composition des Conseils d'administration est par nature internationale. Leurs dirigeants vont en effet pouvoir optimiser un temps précieux et éviter certains déplacements en usant de la faculté qui leur est offerte de prendre part aux délibérations du Conseil et de voter à distance.

Le nouveau texte apporte une souplesse et une certaine liberté dans le mode de fonctionnement de l'organe délibérant.

L'article 454-1 ou l'entrée du virtuel dans les Conseils d'administration de l'OHADA :

1. L'accord préalable des actionnaires pour l'usage de procédés interactifs

L'alinéa 1er de cet article stipule : « Si les statuts le prévoient, les administrateurs qui participent au conseil par visioconférence ou par d'autres moyens de télécommunication permettant leur identification et garantissant leur participation effective peuvent voter oralement. »

La 1ère condition est donc que les statuts prévoient le recours à ces procédés. Cela implique par conséquent, une modification préalable du contrat de société des entreprises déjà existantes à la date d'entrée en vigueur de l'Acte Uniforme révisé.

L'article 454-1 précise en outre, en son alinéa 4 que : « Les statuts peuvent limiter la nature des décisions pouvant être prises lors d'une réunion tenue dans ces conditions. »

Une comparaison avec les textes français qui régissent cette question, permet de constater que ces derniers sont plus restrictifs que l'article 454-1. En effet, la loi NRE* du 15 mai 2001 qui avait permis, en l'encadrant, la visioconférence dans les Conseils d'administration des sociétés françaises a fait par la suite l'objet de réaménagements afin de remédier aux difficultés pratiques rencontrées par les praticiens dans l'utilisation du dispositif.

L'article L 225-37 du Code de commerce, actuellement en vigueur, pose les conditions préalables suivantes en son alinéa 3 :

  • d'une part, le recours à des moyens de visioconférence ou de télécommunication ne doit pas être interdit par les statuts et doit être nécessairement prévu par le règlement intérieur des sociétés concernées,
  • d'autre part, l'utilisation de ces techniques est prohibée pour les décisions les plus importantes à savoir :
    • l'établissement des comptes annuels et du rapport de gestion,
    • l'établissement des comptes consolidés et du rapport sur la gestion du groupe.

Ainsi, ces questions nécessitent la présence physique de la moitié au moins des administrateurs, quorum requis.

Enfin, les statuts peuvent limiter la nature des décisions pouvant être prises lors d'une réunion tenue par ces moyens et prévoir un droit d'opposition au profit d'un nombre déterminé d'administrateurs.

Il faut reconnaître que le législateur OHADA a été pour le moins novateur et libéral puisqu'il soumet l'usage de la visioconférence ou d'autres moyens de télécommunication uniquement à l'accord préalable des actionnaires et érige la limitation de la nature des décisions pouvant être prises lors d'une réunion tenue dans ces conditions, en simple faculté.

En d'autres termes, dès lors que les statuts ne prévoient aucune limitation, les décisions capitales tels que l'arrêté des comptes annuels, l'élaboration du rapport de gestion et même la nomination ou la révocation du président du conseil et du directeur général pourront être prises par ces moyens interactifs.

Or, dans un souci de simplification des modifications statutaires, on peut se demander s'il n'aurait pas été plus simple que l'article 454-1 en son 4ème alinéa, offre la possibilité aux actionnaires de dresser la liste des décisions pour lesquelles l'usage du dispositif serait exclu plutôt qu'autorisé.

En tout état de cause, les délibérations du Conseil d'administration seraient valables si les statuts ne stipulaient aucune limitation ou n'excluaient aucune décision à prendre dans ces conditions et se contentaient simplement d'autoriser ces procédés.

2. Le respect de certaines caractéristiques techniques

Le texte fait référence à la « visioconférence » ou à « d'autres moyens de télécommunication » permettant l'identification des administrateurs et garantissant leur participation effective.

- La visioconférence

Dans le jargon des télécommunications, ce vocable désigne une téléconférence permettant, en plus de la transmission de la parole et de documents graphiques, la transmission d'images animées des participants éloignés.

Cette avancée, permettant aux sociétés de s'adapter à l'évolution des technologies, est appréciable. Toutefois, le recours à la visioconférence suppose la mise en place d'un équipement audiovisuel complexe et coûteux. S'il pourra être adopté sans difficulté par les grandes entreprises, il n'est pas certain qu'il en ira de même pour celles de taille plus modeste.

Le législateur communautaire a donc remédié à cette difficulté en prévoyant la possibilité de recourir à des moyens plus simples et plus abordables, tout en les encadrant.

- D'autres moyens de télécommunication

L'alinéa 2 de l'article 454-1 mérite d'être reproduit in extenso : « Afin de garantir l'identification et la participation effective à la réunion du conseil des administrateurs y participant par des moyens de télécommunication, ces moyens transmettent au moins la voix des participants et satisfont à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations. »

Afin de sécuriser les délibérations, le législateur OHADA soumet la validité de ces procédés à deux conditions :

- La transmission, au minimum, de la voix des participants.

- La retransmission continue et simultanée des délibérations.

La 1ère condition ne présente pas de difficulté quant à son interprétation. Elle fait référence à deux procédés qui permettent d'entendre la voix des participants et garantissent ainsi leur identification : le téléphone ou la conférence téléphonique, cette dernière technique renforçant la collégialité des débats.

En revanche, il semble que les rédacteurs du texte, en utilisant le terme « télécommunication » plutôt que « télétransmission » aient voulu écarter le recours à l'Internet ou à d'autres moyens de communication plus sophistiqués qui, par définition, ne retransmettent pas la voix.

Cette attitude prudente, semble justifiée, car elle évite aux entreprises africaines d'être trop dépendantes de l'évolution des nouvelles technologies dont la complexité pourrait s'avérer contraignante dans la pratique.

La seconde condition est la « retransmission continue et simultanée des délibérations ».

L'objectif est ici de s'assurer que les administrateurs débattent effectivement, que leurs échanges ont lieu en temps réel et ne sont à aucun moment interrompus.

Lorsqu'on sait les problèmes énergétiques que rencontrent certains pays africains, une interruption subite en plein milieu des débats n'est pas exclue. Une panne dans le fonctionnement du dispositif pourrait également survenir.

L'AUSCGIE a paré à toute éventualité en stipulant en son article 458 alinéa 3 que : « En cas de participation au conseil d'administration par visioconférence ou autre moyen de télécommunication, il est fait mention dans le procès-verbal des incidents techniques éventuellement survenus au cours de la séance et ayant perturbé son déroulement. »

3. L'abaissement du seuil de quorum

Lorsque le Conseil d'administration se tient sans l'usage de moyens de télécommunication, le quorum exigé par l'article 454 alinéa 1er est la moitié des administrateurs physiquement présente.

Le nouvel article 454-1, en son alinéa 3, a abaissé ce seuil au tiers des administrateurs présents en cas de tenue du Conseil selon les procédés susvisés. C'est dire que, dans le cas d'un Conseil d'administration composé de trois membres uniquement, comme le prévoit l'AUSCGIE, celui-ci délibère valablement en la présence effective d'un seul de ses membres.

Ainsi, les administrateurs qui délibèrent à distance ne sont pas pris en compte dans le calcul du quorum mais leur voix est comprise dans le calcul de la majorité. Il semble que c'est ce que laisse entendre l'article 454-1 alinéa 1er, in fine, en disposant que ces administrateurs « peuvent voter oralement ».

Il est intéressant d'observer que le législateur OHADA est en revanche ici plus restrictif que le législateur français, qui lui, stipule à l'article L 225-37 alinéa 3 du Code de commerce précité, que : « sont réputés présents, pour le calcul du quorum et de la majorité, les administrateurs qui participent à la réunion par des moyens de visioconférence ou de télécommunication ». Il n'est donc pas fait de différence avec ces administrateurs qui, malgré leur éloignement, sont considérés comme étant effectivement présents. A titre d'exemple, dans un Conseil soumis au droit français et composé de six membres, le quorum sera considéré comme atteint si l'un d'eux seulement est physiquement présent alors que deux autres de ses membres délibèrent à distance.

La grande liberté offerte par l'article 454-1 quant la nature des décisions pouvant être prises lors d'une réunion tenue par les moyens visés, est tempérée par l'exigence d'une présence effective d'un tiers au moins de l'effectif du Conseil. Les rédacteurs du texte, certainement guidés là encore par la sécurité des délibérations, ont voulu prendre en compte le contexte africain dans lequel elles interviennent. Ainsi, dans un Conseil composé de six membres, le quorum ne sera considéré atteint que lorsque deux de ses membres seront physiquement présents alors qu'un autre au moins participera à la séance de manière virtuelle.

En conclusion, cette reforme du fonctionnement des Conseils d'administration des sociétés anonymes régies par l'Acte Uniforme révisé de l'OHADA est à saluer dans un environnement des affaires toujours plus concurrentiel où la rapidité des décisions prises par les dirigeants est un gage de compétitivité de leurs entreprises. Il faut espérer que les nouveaux procédés virtuels autorisés emporteront leur adhésion et que, dans la pratique, leurs activités en seront effectivement facilitées.

Patricia ABIMBOLA, Directeur Juridique Groupe
Groupe Bank of Africa, Filiale de BMCE BANK
(Banque Marocaine du Commerce Extérieur)
Cotonou, Bénin
Email : pabimbola@boaholding.com

* Loi N°2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques

Article initialement publié par l'Union Internationale des Avocats (UIA) dans son magazine, Juriste International, n° 2014-2. www.uianet.org.

Commentaires

  • 16/04/2024 16h51 OUSSEYNOU FAYE

    Je suis très ravie de voir un tel article qui nous permettra de comprendre davantage le droit ohada

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