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Actualité

Arbitrage / Extrême actualité de l'impartialité de l'arbitre / Mise en oeuvre de la responsabilité des arbitres défaillants

Nous faisons référence aux lettres d'information www.ohada.com du 16 janvier 2015 et des 14 et 16 octobre 2014.

1) Extrême actualité de l'impartialité de l'arbitre

L'arbitrage est un mode privé de résolution des litiges qui a été encouragé par les pouvoirs publics, désireux de désencombrer les tribunaux. Les avocats ont en parallèle joué un rôle actif de promotion de cette justice privée réputée plus rapide. C'est ainsi que, soucieux de voir Paris devenir la capitale mondiale de l'arbitrage, le gouvernement français a adopté le décret du 13 janvier 2011, texte ultra libéral supprimant l'effet suspensif des recours à l'encontre des sentences arbitrales.

Par ailleurs l'OHADA a apporté un environnement légal moderne, unifié, adapté et légitime à l'arbitrage en Afrique rendant les procédures arbitrales moins onéreuses que les arbitrages des grands centres internationaux européens ou nord américains et permettant à ces dernières d'être encadrées par un contrôle juridictionnel exigeant de la CCJA, facilitant très grandement l'exécution des sentences arbitrales sur le continent. La réforme OHADA a ainsi ouvert l'âge d'or de l'arbitrage en Afrique.

Néanmoins, l'arbitrage risque aujourd'hui de devenir victime de son succès et de l'engouement parfois exagéré qu'il suscite. En effet, les arbitres, juges privés, se trouvent investis de pouvoirs d'autant plus exorbitants que les recours à l'encontre de leurs sentences, le plus souvent non susceptibles d'appel en révision, sont extraordinairement limités. La succession des affaires récentes d'arbitres conflictés et défaillants dans leurs obligations de révélation, l'absence de sanctions infligées à ces arbitres par les grands centre internationaux d'arbitrage censés pourtant exercer la police de la procédure arbitrale, sont venus entacher l'image de l'arbitrage. Le coût des procédures arbitrales, les honoraires des avocats et des arbitres très élevés, le montant parfois vertigineux des sentences rendues par les arbitres, parfois même à l'encontre des Etats, y compris les plus démunis, sont venus aggraver la méfiance et la désaffection des parties

II est important d'enrayer sans délai ce processus de désaffection suscité par le risque de partialité et de collusion des arbitres que révèle la succession des affaires récentes qui ont défrayé l'actualité.

Pour cela, une exigence extrême d'indépendance et d'impartialité doit peser sur les arbitres, ces derniers ayant l'obligation de respecter de la manière la plus stricte leurs obligations de révélation lors de leur nomination et pendant tout le cours de l'arbitrage.

Trois décisions phares récentes des plus hautes juridictions françaises : Paris 14-10-2014 (Annulation de la sentence de l'arbitre unique conflicté Henri ALVAREZ / FASKEN MARTINEAU DUMOULIN LLP) ; Cass. com. Cass. 1e civ. 18 décembre 2014 ; Paris 17-2-2015 n°13/13278 (Aff. TAPIE, ESTOUP, BREDIN et MAZEAUD) sont venues confirmer une jurisprudence salutaire pour l'avenir de arbitrage et rappeler clairement les obligations des arbitres en matière d'indépendance et d'impartialité et les règles que ces derniers doivent respecter en matière de révélation et de recherche de conflits d'intérêts.

Votre site www.ohada.com attire à cet égard votre attention sur la chronique très complète sur le sujet du Professeur Barthélémy MERCADAL publiée en mars 2015 par la Revue de Jurisprudence de Droit des Affaires (RJDA). Cette chronique de doctrine a pour assise la jurisprudence récente, notamment l'Arrêt précité de la Cour d'Appel de Paris du 14 octobre 2014, que le Professeur approuve sans réserve sur un strict plan juridique.

Cette chronique rappelle notamment que ce n'est pas seulement la loi et le juge français qui ont imposé à l'arbitre un devoir de révélation. C'est bien plus. L'impartialité de l'arbitre est requise au titre des droits de l'homme par la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

Elle salue le fait que la Cour d'Appel ait réaffirmé le principe fondamental au terme duquel l'obligation de recherche et de révélation pèse sur l'arbitre, pas sur les parties.

Ce rejet de l'obligation d'investigation à la charge des parties est pour le Professeur MERCADAL l'un des points de droit fondamentaux qui est réaffirmé par l'Arrêt du 14 octobre 2014. Ce ne sont pas les parties qui doivent s'informer sur le conflit d'intérêt pouvant affecter l'arbitre, mais l'arbitre lui même sur qui pèse l'obligation de recherche de conflits d'intérêts potentiels et de révélation.

La chronique relève également le point de la soi disant « modestie » des honoraires de la chronique qui ne saurait en aucun cas être un facteur atténuant les obligations des arbitres.

Enfin, dans la dernière partie de la chronique, le Professeur MERCADAL propose d'écarter le manquement de l'arbitre travaillant dans de grands cabinets d'avocats internationaux lorsque ce dernier aura prouvé qu'il a accompli toutes les diligences en son pouvoir pour découvrir le risque de conflit d'intérêts pouvant naître des relations de clientèle de son cabinet.

Cette chronique parfaitement équilibrée sera nécessairement lue avec la plus grande attention par les milieux spécialisés de l'arbitrage (voir paragraphes clés de la chronique).

2) Mise en œuvre de la responsabilité des arbitres défaillants.

Pour les parties qui doivent subir les dommages liés à la négligence fautive de l'arbitre, elles peuvent demander réparation à l'arbitre. Dans le cas d'affaire TAPIE, une action civile en dommages intérêts de plusieurs centaines de millions d'Euros a été engagée par l'Etat, le CDR, l'EPFR... devant le TGI de Paris à l'encontre notamment l'arbitre conflicté Pierre ESTOUP. Cette action a fait l'objet d'une ordonnance de sursis à statuer, rendue par le TGI de Paris le 20 JANVIER 2015, jusqu'à décision ayant autorité de la chose jugée dans l'instance pénale en cours.

Les arbitres sont des juges privés. Ils doivent être responsables de leurs manquements et en répondre en réparant le dommage causé aux parties et leurs ayants droit du fait de leurs manquements et de leurs fautes. Il en va du salut de ce mode privé de résolution des litiges qu'est l'arbitrage, encouragé par ailleurs par les pouvoirs publics.

A noter, à cet égard le passage afférent à l'indépendance des arbitres et à la mise en œuvre de leur responsabilité de l'interview du Doyen Thomas CLAY, parue dans La semaine du droit du 23 février 2015 :

A la question « N'y a-t-il pas des risques d'abus de l'arbitrage ? », le Doyen Thomas CLAY répond :

« Si, évidemment ; c'est aussi pourquoi je défends parallèlement une conception rigoureuse de la pratique de l'arbitrage, notamment sur la question d'indépendance de l'arbitre. Le corollaire de la liberté de l'arbitrage international, c'est une éthique irréprochable et une mise en jeu de la responsabilité à chaque fois que nécessaire. Il y a des habitudes, des pratiques, des dérives qui se sont installées et qui doivent être corrigées de l'intérieur sous peine de se le voir imposé de l'extérieur, de manière plus brutale et sans doute douloureuse. Proposer des solutions allant dans cette direction constitue un second volet de mon travail. Et la jurisprudence, qui a considérablement renforcé les obligations de l'arbitre depuis 15 ans, et notamment l'obligation d'indépendance, va exactement dans ce sens. Les articles du code de procédure civile (français) sur l'arbitrage sont à l'unisson. C'est d'ailleurs le sens du combat que j'ai mené dans l'arbitrage entre le CDR et Bernard TAPIE, qui ne me semblait pas correspondre à ce que doit être l'arbitrage. ».

 

Paragraphes clés de la chronique :

  • Paragraphe 7 : « Il est vrai, en premier lieu, que si la loi fait obligation à l'arbitre de révéler les faits générateurs de suspicions de la part d'une partie, on ne saurait imputer à cette partie le devoir de découvrir ce que l'arbitre ne lui révèle pas. L'obligation de révéler incombant à l'arbitre deviendrait alors l'obligation des parties à s'informer. Ce sont donc les parties qui devraient enquêter sur le risque de partialité de l'arbitre. »
  • Paragraphe 9 : « Il s'ensuit que si les parties doivent apprendre « sans effort », il ne peut leur être imposé une vigilance étroite des affaires que traite l'arbitre ou son cabinet. Les tracas et les coûts que cette obligation entraînerait deviendraient rapidement prohibitifs pour elles et les éloigneraient de leurs activités qui doivent demeurer leurs préoccupations essentielles. »
  • Paragraphe 11 : « On ne saurait donc mieux dire que, pour la Cour de cassation, c'est l'arbitre qui doit renseigner pleinement sur ses liens, même indirects, avec la partie qui l'a désigné et non la partie plaignante qui est tenue aux diligences nécessaires à sa pleine information à partir du fait que l'arbitre contesté lui a révélé. Et même si un arrêt de la cour d'appel de Paris a jugé qu'une partie devait savoir ce qu'écrit la « presse spécialisée », cet arrêt est isolé et contredit [...] »
  • Paragraphe 12 : « En outre, du point de vue tant de l'utile que du juste, la solution préconisée par l'arrêt isolé de la cour d'appel de Paris ne serait pas opportune. Pourquoi dispenser l'arbitre de révéler ce qu'il ne court aucun risque à mettre au grand jour puisque, le fait étant par hypothèse connu de l'éventuel plaignant, cette connaissance doit suffire à le disculper en cas de demande de récusation ? Pourquoi aller au-devant d'une procédure inutile, mais toujours aléatoire, alors qu'il peut s'en prémunir et se mettre à l'abri de toute mise en cause ? Il est donc de l'intérêt de l'arbitre suspecté d'être soumis à l'obligation de révéler pleinement même un fait censé connu du plaignant. Pourquoi dispenser celui qui dans le rapport contractuel est le mieux placé pour informer l'autre ? En effet, nul n'est mieux placé que l'arbitre pour informer les parties sur les relations de clientèle de son cabinet. »
  • Paragraphe 13 : « En disculpant l'arbitre pour la seule raison que le fait serait notoire, on le libère de son obligation en créant une obligation à la charge de la partie qui est dans une position d'infériorité par rapport à lui pour connaître le fait litigieux et on crée les conditions d'un litige en récusation après le prononcé de la sentence, car le profane de l'arbitrage ne saura pas qu'il doit suivre à la trace tout de ce qui pourrait influencer son consentement. [...] Ce risque justifie que l'arbitre, tenu à révéler toute circonstance, mentionne même un fait notoire, car son silence contient potentiellement une atteinte à une autre disposition du Code de procédure civile relative à l'arbitrage international qui lui impartit d'agir avec loyauté dans la conduite de la procédure (CPC art. 1464, al. 3 sur renvoi de l'art. 1506, 3o). Son silence ne peut être que suspect et ne peut pas le mettre à l'abri d'un soupçon d'impartialité s'il invoque, en outre, pour le justifier que le montant des honoraires que lui-même ou son cabinet ont reçus ne pouvait être de nature à mettre en doute son intégrité. »
  • Paragraphe 16 : « On peut s'interroger, en droit, sur la valeur de l'argument tiré de la modestie des honoraires. Comment évaluer le doute raisonnable créé chez le plaignant qui, au moment de la conclusion du contrat d'arbitrage ou pendant le cours de la procédure, apprend que son adversaire est client, même modeste, du cabinet ? Personne ne peut assurer que cette partie devant le faible intérêt de la relation estimera que celui-ci est pour elle une garantie de l'impartialité de l'arbitre. Elle peut tout au contraire se dire que, pour un arbitre-avocat et le cabinet dont il est associé, ce qui compte par-dessus tout, c'est de s'assurer un client pour l'avenir. Ces derniers ont d'autant plus de raison de chercher à satisfaire la partie qui, aujourd'hui client modeste, peut devenir important et si elle est satisfaite de l'arbitrage. »
  • Paragraphe 18 : « Il n'est donc possible de s'assurer du consentement éclairé de la partie qui se plaint de ne pas avoir reçu une information que si cette partie l'a reçue avant de s'engager envers l'arbitre en cause, soit avant de conclure le contrat d'arbitrage, soit en cours de procédure avant d'accepter de continuer l'arbitrage. Cela implique que l'arbitre révèle une clientèle même modeste, puisque celle-ci peut générer la « crainte » de la partialité de l'arbitre. Et cette crainte est d'autant plus à redouter que l'arbitre est unique car la sentence est alors rendue sans la garantie d'un délibéré contradictoire. »

Commentaires

  • 26/11/2015 13h46 EKANI

    L'indépendance de l'arbitre est-elle toujours liée à son impartialité ? Je pense que l'arbitre tout comme le juge peut-être impartiale même en étant lié d'une façon ou d'une autre. Mais j'aimerais savoir quelle est la question centrale que pose l'impartialité de l'arbitre.

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