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Serge-K.-Evelamenou

La verdeur des actes uniformes de l'OHADA par rapport aux dispositions de droit national

La liberté contractuelle peut-elle, sur le fondement d'une disposition de droit national, déroger aux dispositions de l'OHADA, en optant, par exemple, pour des sûretés et mécanismes de recouvrement non prévus par le droit communautaire ? Un arrêt de la CCJA apporte une réponse.

Viole les dispositions de l'Acte uniforme portant organisation des sûretés (AUS) et celles de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution (AUVE), la cour d'appel qui, d'une part, fait application de dispositions de droit interne instituant la dation en paiement sous condition suspensive portant sur un immeuble comme sûreté réelle susceptible de garantir le paiement d'une créance, alors qu'une telle sûreté n'est nullement prévue par l'AUS et, d'autre part, invoque la loi nationale pour valider une procédure de recouvrement de créances, alors que l'AUVE contient aussi bien des dispositions de fond que de procédure, ayant seule vocation à s'appliquer aux procédures de recouvrement engagées après son entrée en vigueur.

Telle est, en substance, la décision rendue le 22 février 2018 (CCJA, 22 févr. 2019, n° 41/2018) par la première chambre de la Cour commune de justice et d'arbitrage (CCJA) de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA).

Des faits, qui se sont déroulés au Togo, il ressort que par convention de crédit du 15 juin 2010, modifiée par avenant du 9 décembre 2010, une banque accordait divers concours financiers à une société. En garantie de cette créance, la société débitrice a donné à la banque un immeuble bâti, d'abord sous la forme d'une hypothèque, puis, selon les termes d'un avenant du 9 décembre 2010, en dation en paiement sous condition suspensive de défaut de paiement, conformément aux dispositions de l'article 32 de la loi n° 88-02 du 20 avril 1988, instituant une procédure simplifiée de recouvrement de créances civiles et commerciales au Togo, modifiée par la loi n° 89-30 du 28 novembre 1989. Le débiteur n'ayant pu honorer son engagement, le créancier, sur le fondement des alinéas 2 et suivants de l'article 32 précité, a poursuivi la réalisation de la dation en paiement, que le président du tribunal de première instance de Lomé constatera par ordonnance n° 2105/2015 du 8 octobre 2015, avec pour effet, le transfert de la propriété de l'immeuble bâti à l'établissement bancaire.

Sur assignation du débiteur, le juge des référés du tribunal de première instance de Lomé a rétracté l'ordonnance constatant la réalisation de la dation en paiement, au motif que le législateur togolais a fait de la dation en paiement une véritable sûreté, ce que ne prévoit pas l'AUS, seule disposition applicable en la matière. Une décision juridiquement fondée et de bon sens, mais que la cour d'appel de Lomé, sur appel du créancier, a, curieusement, décidé d'infirmer. La censure de la CCJA, l'instance suprême de l'espace OHADA, dont la mission est d'assurer l'interprétation et l'application communes du Traité de l'OHADA, ainsi que des règlements pris pour son application, des Actes uniformes et des décisions (Traité de l'OHADA, art. 14), n'en est que plus évidente !

La question était, en effet, de savoir si la liberté contractuelle peut, sur le fondement d'une disposition de droit national, déroger aux dispositions de l'OHADA, en optant, par exemple, pour des sûretés et mécanismes de recouvrement non prévus par le droit communautaire.

La réponse à cette question nécessite que l'on rappelle d'abord la nature juridique de l'instrument de garantie et de recouvrement des créances prévus par la loi togolaise de 1988 ce qui, du coup, fera ressortir la disposition susceptible de recevoir application en l'espèce.

S'agissant de la nature juridique de la dation en paiement de la loi togolaise de 1988, il convient de souligner, tout d'abord, que conformément aux règles admises dans l'ancien droit français, les rédacteurs du Code civil ont présenté la dation en paiement comme un paiement exceptionnel, se contentant d'y faire allusion, indirectement, à travers la règle édictée par l'article 1243 ancien du Code civil : « Le créancier ne peut être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due, quoique la valeur de la chose offerte soit égale ou même plus grande ». Ce principe est le corollaire évident du caractère contraignant du lien d'obligation, qu'elle qu'en soit la source (Terré F., Simler Ph., Lequette Y., Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10e éd., 2009, n° 1323). Le débiteur ne peut se libérer de sa dette à l'égard du créancier qu'en fournissant à ce dernier la prestation même qui constitue l'objet de son obligation. Réciproquement, le créancier ne peut exiger que ce qui lui est dû.

A contrario, créancier et débiteur peuvent convenir que la prestation due soit remplacée par une autre, autrement dit que le débiteur se libère en fournissant une autre chose que celle conventionnellement due. C'est l'hypothèse de la dation en paiement, que la récente réforme du droit français des obligations (Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations) consacre, de façon formelle, au nouvel article 1342-4, alinéa 2 : « le créancier peut accepter de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû ». Le nouveau texte donne ainsi à la dation en paiement le support textuel qui lui manquait jusqu'ici, même si le terme n'est pas utilisé (Buffelan-Lanore Y., Larribau-Terneyre V., Droit civil, Les obligations, Sirey Université, 15e éd., 2017, par Larribau-Terneyre V., n° 613 s.). Sa spécificité n'a pas, pour autant, évoluée. Elle tient au fait qu'à la différence du paiement de la chose même qui était due, elle requiert l'accord du créancier et ne peut pas lui être imposée. La dation en paiement nécessite donc un accord de volonté, dont le juge doit vérifier l'existence (Cass. 3e civ., 15 avr. 2005, RTD civ. 2005, p. 783, obs. Mestre et Fages B.). Aussi, est-elle définie comme l'opération par laquelle le débiteur se libère de son obligation en transférant la propriété d'un bien lui appartenant à son créancier, qui l'accepte, en lieu et place du paiement dû (Marty G., Raynaud P., Droit civil, T. 2, Vol. 1, Les obligations, Sirey, 1962, n° 590 s. ; Mazeaud H., L. et J., Chabas F., Leçons de Droit civil, T. II, Vol. I, Les obligations, Théorie générale, Montchrestien, 9e éd., 1998, par F. Chabas, n° 889).

Mais, sa nature juridique a été très discutée en doctrine, car son mécanisme tient aussi bien du paiement que de la vente, mais également de la novation. Sans revenir ici sur ces controverses (le lecteur peut utilement consulter les travaux de Diez H., La nature juridique de la dation en paiement, RTD civ. 2004, p. 199, ou encore la thèse de Bicheron F., La dation en paiement, thèse, éd. Panthéon-Assas, 2006), on se contentera d'observer que la dation en paiement est un mode particulier ou exceptionnel de paiement ; un mode de paiement inhabituel, voire « anormal », en cas de procédures collectives (article 29-4° de la loi française du 13 juillet 1967 et article 447 du Code de commerce français de 1807 repris par l'article 68-4° de l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif - AUPC), qui repose nécessairement sur un accord de volonté des parties au paiement, emportant modification de l'obligation.

Ainsi, telle qu'envisagée par le Code civil français, la dation en paiement n'a rien d'une sûreté et relève dès lors du régime général des obligations. Cela veut dire, concrètement, que dans l'espace OHADA où le législateur communautaire n'a pas légiféré dans le domaine des obligations en général, l'application des règles régissant la dation en paiement, en tant que mode de paiement, échappe au contrôle de la CCJA. L'argumentation de l'établissement bancaire, retenue par la cour d'appel de Lomé, aurait donc été recevable, si le législateur togolais avait purement et simplement consacré les solutions héritées du droit français, considérant la dation en paiement comme un mode de paiement ou s'il n'avait pas érigé ce mode de paiement en mécanisme de garantie et de recouvrement. Ce qui n'est pas le cas.

L'article 32, alinéa 1er, de la loi togolaise n° 88-02 du 20 avril 1988 instituant une procédure simplifiée de recouvrement de créances civiles et commerciales, dispose en effet que « le débiteur peut, en sûreté du remboursement d'une somme d'argent, offrir au créancier en dation en paiement sous condition suspensive de défaut de paiement, un bien meuble ou immeuble sur lequel il dispose d'un droit de propriété dûment établi par un titre authentique ou privé ». Il ne fait aucun doute que la dation en paiement prévue par la législation togolaise est une « sûreté », selon les termes mêmes de la loi, une sûreté réelle, pouvant portée sur un bien meuble ou immeuble. Les alinéas 2 et suivants du texte en précisent d'ailleurs les conditions de validité ainsi que la procédure de réalisation. Il ne s'agit donc pas de la dation en paiement de droit commun, telle que prévue par le Code civil français, dont a hérité les anciennes colonies françaises d'Afrique, dont le Togo. Il s'agit bien plutôt d'une garantie de recouvrement. Et c'est en cela que réside le problème.

Car, en effet, pour atteindre son objectif d'« harmonisation du droit des affaires dans les Etats parties » (Traité de l'OHADA, art. 1er), l'article 10 du Traité fondateur de l'organisation pose, sans aucune ambigüité, le principe de la supranationalité (Issa-Sayegh J., La portée abrogatoire des actes uniformes de l'OHADA sur le droit interne des Etats-parties, Revue burkinabé de droit, n° spécial, n° 39-40, p. 51) des actes uniformes et de leur portée abrogatoire sur le droit interne des Etats parties (CCJA, avis n° 1/2001 du 30 avril 2001, Ohadata, J-02-04). Ce texte dispose que « les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ».

Il s'agit de l'une des conséquences indispensables du principe de sécurité juridique. L'idée étant de créer un espace juridique commun avec la garantie d'une applicabilité uniforme du droit en matière des affaires, il fallait donc que le droit OHADA ait la primauté sur les droits nationaux et qu'il se substitue immédiatement et obligatoirement à ceux-ci, sans passer par le truchement d'un quelconque procédé juridique national tel une ratification ou un décret d'application, autant de formalités qui peuvent retarder, voire freiner son applicabilité et donc son efficacité. Or, selon l'article 2 du Traité qui précise, sans le limiter, le domaine du droit couvert par l'OHADA, celle-ci a vocation à légiférer dans tous les domaines des affaires, soit l'ensemble du droit privé, voire même au-delà.

C'est en l'occurrence le cas en matière de garanties et de recouvrement de créances, où l'OHADA a adopté deux actes uniformes, l'un portant organisation des sûretés (AUS), adopté le 17 avril 1997 et révisé le 15 décembre 2010, l'autre portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution (AUVE), adopté le 10 avril 1998. Cela veut dire qu'en matière de sûretés et de recouvrement de créances, civiles ou commerciales, les dispositions de l'AUS et celles de l'AUVE « sont directement applicables et obligatoires », prioritairement à « toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure », dans l'ensemble des dix-sept pays composant l'espace OHADA, dont le Togo. Les stipulations de la convention de crédit du 15 juin 2010 et de son avenant du 9 décembre 2010 n'échappent donc pas aux champs d'application de l'AUS et de l'AUVE ; ce que n'a pas manquer de percevoir la CCJA, dont l'arrêt censurant la décision des juges de la cour d'appel de Lomé se trouve pleinement justifié.

Dr. Serge K. Evelamenou
12 juillet 2019 - www.actualitesdudroit.fr

Commentaires

  • 10/05/2022 17h27 WILLY NJOUDIE

    Je vous remercie infiniment pour cette analyse pertinente. Cependant, je pense que l'absence de la dation en paiement au rang des mécanismes susceptibles de constituer la résolution d'une obligation de paiement, précisément dans le cadre de la pratique du recouvrement des créances bancaires est un problème. En effet, l'A.U.P.S.R.V.E devrait en mon sens, l'intégrer et d'avantage s'inspirer des pistes de solutions proposées par les législations internes des états membres de l'OHADA ou non. En effet, selon ma modeste expérience l'AU n'envisage la résolution de l'obligation de paiement que sous le prisme coercitif. Or ces Procédures pourtant dites simplifiées, non seulement engendrent plus de dégâts qu'autre chose, mais aussi détruisent les rapports entre le pourvoyeur de crédit, et l'homme d'affaire ou l'investisseur. L'intérêt d'uniformisation et de simplification des procédures devait justement concilier la satisfaction du créancier à travers la possibilité la facilitation du recouvrement si cela est possible à l'amiable, et sauvegarder les rapports entre ces deux acteurs majeurs de l'activité économique dans l'espace OHADA. Au lieu de cela, on a l'impression que ces procédures surprotègent les débiteurs, et l'on comprend le bien fondé d'un rapport des récentes années de la BEAC, qui indique que la masse des créances en souffrance dans cet espace est d'environ 20%.

  • 24/04/2022 21h32 LOTALA BOKETSU ADOLPHE

    J'ai apprécié la manière dont vous avez abordé la question qui, jusqu'à présent, continue de semer l'insécurité juridique voire judiciaire dans la plupart des États membres de l'espace Ohada. Les juges internes ont du mal à s'écarter des droits nationaux dans les matières régies par le droit communautaire.
    Il y a encore beaucoup à faire, surtout sur le plan sensibilisation
    Merci beaucoup et je partage votre analyse

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