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Portage d'actions et clauses léonines en droit OHADA

L'acte uniforme révisé consacre expressément en son article 2-1 la possibilité pour les associés de conclure des conventions extrastatutaires. Toutefois, certaines de ces conventions peuvent poser des difficultés quant à leur validité au regard des règles du droit des sociétés. Tel est le cas de la convention de portage d'actions. Le point avec Sophie Diagne Ndir, docteur en droit, juriste, enseignante-chercheure, Universite Cheikh Anta Diop.

Le portage d'actions est défini comme « une convention par laquelle une personne, le porteur, accepte sur demande du donneur d'ordre, de se rendre actionnaire par acquisition ou par souscription d'actions, étant expressément convenu que, après un certain délai, ces actions seront transférées à une personne désignée et à un prix fixé dès l'origine » (Schmidt D., Les opérations de portage de titres de sociétés, in Les opérations fiduciaires, Colloque de Luxembourg des 20 et 21 septembre 1984, éd. FEDUCI, LGDJ, 1985, p. 30).

C'est donc une opération qui consacre une promesse d'achat de titres sociaux à prix fixe. Or, l'on sait que la valeur des titres est sujette à une grande instabilité en raison de leur fluctuation incessante, à la hausse comme à la baisse. Ainsi, une personne qui acquiert des actions à un certain prix, en les revendant en un intervalle de temps très court peut se voir dans l'obligation de les céder à la moitié de ce prix. Cependant, la promesse d'achat des actions portées à prix fixe convenu dans la convention de portage peut prémunir le cédant contre cet aléa. De ce fait, même si la société connaît des pertes entraînant la dépréciation de la valeur de ses actions, (dans les sociétés anonymes, lorsque la société connaît des pertes, cela déteint sur la valeur des actions qui s'en trouvent ainsi dépréciées), le porteur est assuré de vendre à un prix qui ne peut aucunement le désavantager dès lors qu'il sera au moins égal à celui de leur acquisition.

L'appréhension par le droit OHADA du portage d'actions

Le droit OHADA ne réglemente pas expressément cette opération ; néanmoins, rien ne s'oppose à ce qu'elle puisse être réalisée par le biais de conventions extra statutaires. Dès lors, le grief de clause léonine peut bien être pertinent. Est, en effet considérée comme clause léonine par le législateur OHADA et comme telle réputée non écrite, « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit en mettant à sa charge la totalité des pertes (...) » (AUSCGIE, art. 54 (ancien et nouveau) et C. civ., art. 1844-1).

L'interrogation suivante revêt alors toute sa pertinence : la promesse d'achat de titres sociaux à prix fixe n'est-elle pas une clause léonine dans la mesure où elle assure au porteur un prix de cession confortable alors même que ces derniers auraient perdu de leur valeur ? Répondant positivement à cette question, les auteurs favorables à cette thèse ont fait valoir entre autres arguments que le porteur protégé d'éventuelles pertes de la société par le biais d'une promesse d'achat à prix fixe ne peut se voir reconnaître l'affectio societatis indispensable à toute personne qui veut entrer en société, c'est-à-dire la réelle volonté d'être associé. L'alinéa 2 de l'article 4 de l'AUSCGIE précise bien, au sujet de l'affectio societatis que « la société doit être créée dans l'intérêt commun des associés ». En définitive, pour ceux-là, cette promesse d'achat, indispensable à l'opération de portage, ne pouvant être regardée comme valable aux yeux des clauses léonines, la convention de portage ne peut prospérer car violant une interdiction légale. Cette position ne semble pourtant pas avoir d'écho auprès d'une autre partie de la doctrine qui entreprend d'opérer une totale dissociation entre portage d'actions et clause léonine.

Ainsi, de l'avis du Professeur Alain Couret (Couret A., Les conventions de portage, in Éléments d'ingénierie financière, PUAM, 1994, p. 9), les juges devraient être indulgents avec les conventions de portage d'actions car d'une part, dans ses relations avec ses coassociés, le porteur est soumis à l'obligation aux dettes sociales et d'autre part, dans ses relations avec le donneur d'ordre, le prix fixe minimum convenu ne représente que sa rémunération au service de portage.

Notre position personnelle

Pour nous, certaines opérations de portage peuvent avoir un dessein frauduleux. Plusieurs arguments ont été avancés afin de valider la promesse d'achat à prix fixe, élément central du portage. Il a ainsi été avancé d'abord que si le projet de cession d'actions s'inscrivait dans une logique économique sérieuse, peu importe que les conséquences pouvant en découler ramènent à des clauses léonines (telle a été pendant longtemps la position de la Chambre commerciale de la Cour de cassation : Cass. com., 22 mai 1986, Droit des sociétés 1987, n° 78, obs. Germain M. ; Cass. com., 12 mai 1992, Droit des sociétés 1992 n° 209, obs Le Nabasque). Cette affirmation n'emporte nullement notre conviction pour la simple raison qu'un projet de cession véritable et véridique doit prendre en compte la valeur réelle des titres en jeu. La liberté contractuelle ne peut pas, à notre avis, justifier qu'une partie sorte largement, voire exagérément, avantagée par un accord au détriment d'une autre. Au lieu d'une conséquence résultant de la cession à prix fixe, l'existence d'une clause léonine du fait de la répartition inégale des pertes ou bénéfices est plutôt l'objectif principalement visé dans certains portages. On ne peut prétendre vouloir une situation et en rejeter les conséquences. En réalité, en élaborant une convention de portages de titres, les parties à l'opération ne peuvent ignorer le grief de clause léonine que l'on pourrait éventuellement leur opposer. Mieux, c'est souvent en connaissance de cause qu'elles auront agi.

Maintenant, deux questions se posent avec acuité : à qui appartient l'initiative du portage ? À qui profite la violation de l'interdiction des clauses léonines ? La réponse à ces deux interrogations nous amène à constater qu'il y a une incohérence manifeste. Comment le donneur d'ordre peut-il initier une opération de portage dont il sait qu'il peut contourner des dispositions impératives uniquement dans l'intérêt du porteur ? Parfois, le donneur d'ordre sera dans une situation de précarité telle, même si ce n'est que provisoirement, qu'il se voit dans l'obligation de participer en tant que complice instigateur à une entreprise frauduleuse au profit du porteur. Dans une telle perspective, donneur d'ordre et porteur s'associent pour faire jouer des clauses léonines ayant pour prétexte une opération de portage d'actions.

Ensuite, si le bénéficiaire est un tiers non associé, le grief de clause léonine invocable qu'entre actionnaires, ne saurait prospérer. Ce qui est interdit, ce sont les conventions entre associés et non celles entre un associé et un tiers par lesquelles ce dernier serait à l'abri de pertes. Très pertinente, cette argumentation ne fait pas l'objet d'un doute. Elle ne résout cependant pas tout le problème car il reste entier lorsque le donneur d'ordre ne parvient pas à trouver un acquéreur définitif des actions autre qu'un associé. En clair, le donneur d'ordre n'a pas toujours la maîtrise de l'intervention de tiers dans la convention de portage. Les tiers peuvent n'y voir aucun intérêt. Dans un tel cas, il sera dans cette position et par conséquent victime de la surprotection du porteur.

Pour ces différentes raisons, les juges doivent être très regardants par rapport aux conventions de portage pour les risques qu'elles peuvent comporter, le temps de l'intervention d'un texte de loi les validant ou les rejetant. En tout état de cause, comme tout montage contractuel, elles sont rapidement susceptibles de dégénérer en fraude. Mais lorsque des préoccupations fiscales sont en jeu, le risque de présence de montages frauduleux est plus important.

Sophie Diagne Ndir
www.actualitesdudroit.fr

Commentaires

  • 24/03/2023 01h47 VICTOR SAWADOGO

    Une société d'économie mixte avec participation majoritaire de l'Etat, peut elle se constituer donneur d'ordre pour le portage d'actions avec un autre actionnaire de la dite société ? Sinon, qui peut se constituer donneur d'ordre dans ce cas de figure?

  • 26/10/2022 14h08 TAH BI

    Une convention de portage d'action doit-elle être obligatoirement authentifier par devant notaire?

  • 08/11/2018 19h42 ELVIS BEKALE MINKO, VICE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE FRANCEVILLE

    Des associés qui stipulent, dans un document qu'ils ont appelé code de bonne conduite, qu'aucun des associés ne peut ouvrir une activité similaire dans la même province sont ils là liés par un clause Léonine?
    Autrement dit, un associé peut il se retirer de la société malgré la clause ?

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